« Cigéo, un projet de la nation »
Le décret reconnaissant l’utilité publique de Cigéo, le projet de stockage des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue en couche géologique profonde a été publié au Journal officiel le 8 juillet dernier. Une étape majeure expliquée par Frédéric Plas, directeur du projet Cigéo.
Que représente l’obtention de cette Déclaration d’utilité publique (DUP) et quelles sont les perspectives qu’elle ouvre ?
Frédéric Plas : La DUP est un acte administratif qui reconnaît que Cigéo est un projet d’intérêt général pour mettre en sécurité les populations pendant de très nombreuses décennies, sans leur faire porter la charge des déchets actuellement existants. Cette reconnaissance vient après trente ans de travail d’études et de recherche. Nous avons franchi différentes étapes avec la faisabilité en 2005, puis l’esquisse, l’avant-projet sommaire, l’avant-projet détaillé, etc. C’est aussi la reconnaissance de trente ans d’engagement du territoire, la Meuse et la Haute-Marne en général, Bure en particulier, qui ont accepté d’avoir un laboratoire souterrain et potentiellement un stockage.
Pour nous, la DUP est la procédure administrative chapeau qui va permettre de lancer toutes les autres procédures administratives relatives et obligatoires et de mettre en compatibilité les documents d’urbanisme du territoire. L’Andra pourra de la sorte acquérir les terrains nécessaires pour construire Cigéo si des négociations à l’amiable devaient ne pas aboutir. La DUP n’est cependant qu’une étape, ce n’est pas une autorisation de création. Cette dernière est la prochaine étape pour laquelle nous déposerons une demande en fin d’année 2022. En résumé, déclarer Cigéo d’utilité publique permet d’avancer sans pour autant préempter l’avenir et les décisions futures, notamment de politique énergétique, grâce à l’adaptabilité et la progressivité du projet.
Pour déposer la Demande d’autorisation de création (DAC), quelles sont les démarches encore à accomplir ?
F. P. : Nous sommes aujourd’hui dans la partie finale de la rédaction du dossier. Nous avons mené depuis une dizaine d’années le passage de l’avant-projet sommaire à l’avant-projet détaillé. Nous avons désormais tous les éléments pour déposer le dossier d’autorisation de création. Pour rappel, en amont de ce dossier, nous avons déjà remis en 2016 le dossier d’options de sûreté, qui marque l’entrée du projet Cigéo dans un processus encadré par la réglementation relative aux installations nucléaires de base, jalon indispensable lorsqu’un exploitant veut créer une Installation nucléaire de base (INB). Il s’agissait de s’assurer que les éléments techniques du projet répondaient bien aux objectifs de sûreté : le dossier a fait l’objet d’une instruction technique par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire puis d’un avis positif avec des remarques de l’Autorité de sûreté nucléaire en 2017.
Comment l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) va-t-elle acquérir les terrains nécessaires au projet Cigéo ?
F. P. : L’Andra mène depuis 2007 une démarche d’acquisition des terrains à l’amiable de manière très transparente. Elle est menée dans le respect de la réglementation en vigueur par voie d’échanges, d’acquisitions directes, ou de mises en réserve auprès des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Les prix sont préalablement soumis à l’avis des Commissaires des Finances (Direction régionale des Finances publiques) et de l’Agriculture (Direction départementale des Territoires). Aujourd’hui, l’agence est propriétaire de 83 % des surfaces nécessaires au projet Cigéo. Sur les 665 hectares nécessaires au projet, il reste une centaine d’hectares à acquérir. Un tiers est constitué de chemins, de routes ou de voies ferrées, le reste étant constitué de parcelles agricoles.
Où en sont les consultations avec le public sur le sujet ?
F. P. : La consultation fait partie de l’ADN de l’agence. Nous en avons déjà mené et nous continuerons à en faire. Elles sont inhérentes au projet, qui est un projet d’intérêt général, à la fois national et local. Il est extrêmement important que l’Andra continue à informer et à recueillir les avis des uns et des autres. L’Andra est très ouverte au dialogue. Il appartient aux oppositions de choisir leur mode d’expression, l’agence gardant ses portes constamment ouvertes.
Quel est le calendrier de Cigéo désormais ?
F. P. : L’instruction totale de la DAC durera environ cinq ans. Si elle est positive, le décret d’autorisation est attendu en 2027. Ensuite, nous pourrons engager la construction et réaliser les essais de démarrage. L’autorisation de mise en service, et donc la descente du premier colis, est prévue à un horizon 2035-2040. Tout ceci s’inscrit dans le cadre d’une phase industrielle pilote – première étape du développement progressif du centre de stockage Cigéo. Cette phase qui démarrerait au moment du décret durerait entre 15 et 25 ans.
La fin de la phase industrielle pilote interviendrait donc à un horizon 2050 en prenant la fourchette haute. À l’issue de cette phase industrielle pilote, l’Andra remettra un rapport qui fera l’objet d’une évaluation, afin que le parlement puisse fonder sa décision sur les conditions de poursuite du projet Cigéo.
Notez que ce n’est pas parce que le début de la construction est prévu à un horizon 2030 que nous ne nous y préparons pas d’ores et déjà. Nous menons de nombreuses études complémentaires, post dépôt du DAC, en particulier des sujets très techniques comme le schéma industriel de réalisation de Cigéo.
Comment est organisée l’Andra pour faire face au chantier à venir ?
F. P. : L’organisation de la maîtrise d’ouvrage du projet Cigéo est déterminante. Nous venons d’une maîtrise d’ouvrage dont l’objectif était le dépôt du dossier de DAC. Mais à partir du moment où la demande d’autorisation de création est déposée, l’Andra devient un exploitant et cela change beaucoup. Nous basculons donc d’une phase de conception vers une phase de réalisation.
Dans ce contexte nous avons créé trois nouvelles directions. Premièrement, une direction du programme Cigéo. Vous noterez que nous passons de « projet » à « programme ». Elle chapeaute les enjeux et les décisions stratégiques structurantes du développement du centre de stockage depuis la tranche 1 jusqu’à la fin du stockage. Deuxièmement, il y a la direction opérationnelle qui a la responsabilité de préparer la réalisation de la tranche 1 de Cigéo. C’est en particulier tout ce qui concerne la montée en puissance des outils d’ingénierie système liés à la réalisation et à la montée en maturité vers la réalisation de tous les composants (installations de surface, installations de fond, chaîne cinématique, alvéoles de stockage MA-VL et HA1). Troisièmement, l’ex-direction de la recherche et développement devient une direction scientifique et technique. Elle regroupe les personnels de l’ancienne direction de la recherche et développement et une partie du personnel de l’ancienne direction de l’ingénierie. Elle sera en charge de toutes les études scientifiques et techniques sur les sujets coeur de métier de l’Andra : milieu géologique, comportement des radionucléides, comportement des déchets, vieillissement des matériaux, monitoring, traitement des données, simulation numérique du comportement phénoménologique du stockage… Cette direction est orientée vers une logique d’appui à la réalisation industrielle de la tranche 1, mais aussi de prospective.
Comment le programme de nouveau nucléaire français affecte ou va affecter le programme Cigéo ?
F. P. : Nous avons été interrogés par le gouvernement sur les déchets associés à un programme de nouveau nucléaire. La composante gestion des déchets fait partie intégrante du questionnement de l’État avant de décider la mise en oeuvre de nouvelles filières. L’Andra a fait une étude préliminaire sur les déchets qui seraient associés à ces six EPR 2. Pour l’ensemble des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité (HA) qui seraient produits par un nouveau parc, leurs caractéristiques radiologiques et physicochimiques sont similaires aux déchets actuellement produits par les réacteurs du parc actuel2. Bien évidemment, ces déchets venant du nouveau nucléaire conduiraient à un inventaire un peu plus important, ainsi qu’une exploitation un peu plus longue. Dans les grandes lignes, pour ces six EPR 2, nous n’avons pas identifié d’éléments rédhibitoires pour leur stockage dans Cigéo, sans préjuger de leur autorisation de mise en stockage.
Si les six EPR 2 venaient à être autorisés, l’Andra effectuerait les études requises. Mais Cigéo a été conçu pour être flexible et adaptable. Cela peut être une modification de la politique énergétique, un arrêt de retraitement des combustibles usés, une augmentation du temps de vie des réacteurs, etc.
Beaucoup de pays s’engagent dans la voie du stockage géologique. Comment l’analysez-vous ?
F. P. : Il y a globalement un consensus international sur le fait que le stockage géologique est la solution de gestion à long terme des déchets les plus radioactifs. La grande majorité des pays qui ont du nucléaire sont engagés dans cette voie. Certains sont à des états plus avancés que d’autres. La Finlande a eu l’autorisation de création et est en cours de construction. Les Suédois viennent de recevoir l’autorisation de création. La France va déposer sa demande d’autorisation. La Suisse achève un processus de sélection de site. Tous les pays sont sur une dynamique forte. Pour nous, il est important de noter cet élan car nous avons beaucoup de relations à l’échelle européenne et internationale. Nous échangeons les bonnes pratiques et les retours d’expérience.
1. Le projet Cigéo est prévu pour accueillir l’ensemble des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (MA-VL et HA) déjà produits et qui seront produits par les installations nucléaires existantes (centrales nucléaires, entres de recherche, etc.), ainsi que ceux qui seront produits par les installations nucléaires autorisées (EPR de Flamanville, ITER, réacteur expérimental Jules Horowitz). Ils constituent « l’inventaire de référence ».
2. À noter que dans l’inventaire de référence de Cigéo, les déchets de l’EPR de Flamanville (qui dispose de son autorisation de création) sont déjà compris.