Au coeur de l’atelier des chaudières nucléaires françaises
Article publié dans la Revue Générale Nucléaire ÉTÉ 2023 #2
Les composants lourds du circuit primaire des réacteurs sont fabriqués sur le site Framatome de Saint-Marcel. Cuves, générateurs de vapeur, pressuriseurs et tuyauteries… L’usine de Saint-Marcel est mobilisée pour la fabrication de divers équipements à destination des deux EPR d’Hinkley Point C, mais aussi pour la prolongation du parc nucléaire français.
C’est dans la ville de Saint-Marcel, à côté de Chalon-sur-Saône en Bourgogne, que se tient l’usine de Framatome. Au coeur de l’immense installation industrielle, on croise des générateurs de vapeur, cuves, couvercles de cuve, branches primaires et des pressuriseurs. L’usine se situe à une quarantaine de kilomètres de la forge du Creusot, pourvoyeuse des grandes pièces forgées. Le nucléaire est une activité importante dans la région, dont l’histoire industrielle a été marquée par l’arrivée des frères Schneider à la fin du XIXe siècle. Une aventure qui a débuté par la construction de bateaux à vapeur puis par la construction de ponts métalliques, de bâtiments et de véhicules militaires. Ce fief de la métallurgie est, depuis le lancement du programme nucléaire français dans les années 1970, essentiellement tourné vers l’atome. C’est d’ailleurs en 1974 qu’il est décidé de construire l’usine de Saint-Marcel lorsque EDF commande à Framatome douze chaudières nucléaires et quatre unités supplémentaires en option (les tranches CP1). Aujourd’hui, l’usine fournit les composants de la chaudière nucléaire des deux EPR en construction au Royaume-Uni (Hinkley Point C), mais aussi les générateurs de vapeur qui sont actuellement remplacés dans le cadre du programme Grand Carénage du parc français. Ce carnet de commandes ne devrait pas désemplir avec les projets EPR à l’export et le programme français nouveau nucléaire comprenant la construction d’au moins trois paires d’EPR 2. Pour préparer cet avenir prometteur, le site, qui compte déjà 1 200 personnes, recrute ! C’est déjà plus de 400 postes qui ont été pourvus entre 2018 et 2022.
Dans les entrailles d’un titan industriel
Une fois reçues les règles de sécurité – comme toujours lorsque l’on visite un site industriel – nous pénétrons dans l’usine, guidés par David Rabau, directeur technique et industrialisation chez Framatome. L’usine se divise en trois travées qui se distinguent par leur capacité de levage : 50 tonnes pour la travée légère, 350 tonnes pour la travée moyenne et 600 tonnes pour la travée lourde. La différence s’observe également par la hauteur sous plafond croissante, de 20 mètres à un maximum de 37 mètres. Tout le long du parcours tracé au sol, il est possible d’observer l’évolution des composants qui « prennent vie » au fur à mesure de notre déambulation. C’est dans la travée lourde que trônent les générateurs de vapeur, colosses d’acier mesurant entre 20 et 25 mètres selon la puissance de la chaudière.
Dans la première travée, nous apercevons un alignement de viroles d’environ cinq mètres de diamètre, dressées à la verticale. Une lumière intense s’échappe d’opérations de soudage alors que les « flambards » chauffent de leur flamme les pièces tout au long des opérations d’assemblage, « ce qui permet de diminuer les tensions », nous explique-t-on. Un peu plus loin, des plaques entretoises s’exposent à travers les ateliers de perçage, de brossage et de contrôle. Ces plaques accueilleront les milliers de tubes, fabriqués à l’usine de Montbard, toujours en Bourgogne, formant l’échangeur de chaleur au sein du générateur de vapeur.
Le futur couvercle de Flamanville 3
Un peu plus loin, nous avons la chance de découvrir le futur couvercle de l’EPR Flamanville en cours de fabrication. Pour rappel, le couvercle actuel doit faire l’objet d’un changement lors du premier arrêt de tranche de Flamanville 3. « Contrairement aux autres réacteurs du parc historique, toute l’instrumentation vient par le haut », explique David Rabau. En effet, sur le parc nucléaire historique une partie de l’instrumentation vient par le bas en traversant le fond de cuve, là où sur l’EPR l’instrumentation passe par le haut.
C’est un élément de conception provenant des industriels allemands qui a d’ailleurs été conservé pour l’EPR 2. « Ce couvercle bénéficie du savoir-faire des meilleurs soudeurs de l’usine », précise notre guide. De plus, alors qu’il est d’usage que les soudeurs se relaient en poste pour assurer la réalisation des soudures, sur le couvercle, « un soudeur travaille sur le même adaptateur du début jusqu’à la fin ». L’adaptateur est la partie qui vient se loger sur les alésages pour in fine accueillir les mécanismes de commande de grappe qui permettent de piloter la réaction dans le réacteur. Le couvercle rejoindra ainsi sa cuve en formant un ensemble aux dimensions monumentales : 13 mètres de haut, 5,4 mètres de diamètre et 526 tonnes sur la balance !
Les majestueux générateurs de vapeur
En matière de dimensions, les générateurs de vapeur ne sont pas en reste : une vingtaine de mètres de hauteur (20,6 m pour une tranche de 900 MW et 25,2 mètres pour un EPR), pour une masse de 300 à 525 tonnes. Un colosse dont la beauté intérieure ne laisse pas indifférent. Il accueille en effet en son sein des milliers de tubes en « U » qui forment la rencontre entre le circuit primaire et le circuit secondaire, une véritable beauté industrielle. « À sa base se trouvent deux tubulures destinées à accueillir les tuyauteries dans lesquelles circulera l’eau du circuit primaire et deux “trous d’homme”, plus petits, destinés à la maintenance », détaille David Rabau. Une chaudière nucléaire compte quatre générateurs de vapeur, sauf dans les réacteurs de 900 MW qui en comptent trois.
Lors de notre visite, nous avons pu voir un des derniers générateurs de vapeur de 900 MW du programme de remplacement, dans le cadre du Grand Carénage, qui touche à sa fin sur les unités de ce palier. Mais nous avons aussi contemplé les générateurs de vapeur pour les futurs remplacements des tranches de 1 300 MW et pour les EPR d’Hinkley Point C.
Un site tourné vers l’avenir
Selon le rapport « Match » du Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen) remis au gouvernement le 21 avril 2023, le besoin de recrutement de l’industrie nucléaire est d’environ 100 000 recrutements équivalents temps plein sur dix ans. Ce rapport prend en compte la situation de la filière et les projets d’ores et déjà lancés en France et à l’international comme le Grand Carénage, la préparation du programme EPR 2, etc. Ce dynamisme s’observe à Saint-Marcel qui prévoit de recruter près de 180 personnes en 2023 pour un total de plus de 600 CDI supplémentaires en région Bourgogne-Franche-Comté. L’entreprise dispose d’ailleurs d’une école de soudage sur site qui assure la formation des nouveaux entrants (60 soudeurs intégrés depuis 2018), forme et qualifie les soudeurs de l’usine (500 à 600 qualifications par an, 30 types de qualifications soudeurs).