ASTRID : avancée marquante sur la voie rapide - Sfen

ASTRID : avancée marquante sur la voie rapide

Publié le 23 avril 2014 - Mis à jour le 28 septembre 2021

En validant les grandes options techniques du réacteur prototype ASTRID proposées par le CEA et en donnant son feu vert, à la mi-avril, à la poursuite du projet, l’Autorité de Sûreté Nucléaire a clairement avalisé les nouvelles avancées de la recherche française dans la voie des réacteurs à neutrons rapides. 

Cet avis positif de l’ASN n’est certes qu’une étape se situant en amont des autres procédures réglementaires – validation des options de sûreté ; autorisation de création – prévues pour les installations nucléaires de base. Mais il est un viatique précieux et un encouragement pour les équipes qui, depuis plusieurs années, travaillent à la conception de ce réacteur de quatrième génération qui pourrait bouleverser les paramètres actuels de la production nucléaire et conférer à cette énergie une formidable durabilité.  

ASTRID, un réacteur qui produira son propre combustible

D’une puissance de 600 MWe, le réacteur ASTRID (pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) devrait être construit sur le site de Marcoule et entrer en exploitation au début des années 2020. Le projet bénéficie d’un financement de plusieurs centaines de millions d’Euros pour la période 2010-2017 dans le cadre du grand emprunt national et met en jeu des collaborations entre les équipes de la Direction de l’Energie Nucléaire du CEA conduite par Christophe Béhar et plusieurs partenaires français et étrangers[1]. ASTRID est un des grands projets étudiés dans le cadre de ce que l’on appelle, sur le plan mondial, les réacteurs de quatrième génération, machines révolutionnaires susceptibles d’être industriellement développées à compter des années 2040. C’est un réacteur dit « à neutrons rapides » qui possède une propriété remarquable : pouvoir produire son propre combustible dans le cours même de son fonctionnement. On le qualifie ainsi de réacteur surgénérateur.  Avec ce type de réacteur au rendement exceptionnel, la durabilité des réserves mondiales d’uranium aujourd’hui identifiées change d’échelle : elle s’évalue non plus en dizaines d’années mais en millénaires !

En d’autres termes, avec la filière surgénératrice, le nucléaire entre dans la catégorie des énergies durables. Le processus à l’origine de cette propriété est depuis longtemps connu et expérimenté : alors que dans la filière nucléaire traditionnelle seul l’isotope fissile de l’uranium (U 235) soit 0,7% seulement de l’uranium naturel est utilisé pour produire l’énergie, c’est la totalité de l’uranium naturel qui, dans la filière surgénératrice, concourt à cette production. En effet, dans ce type de réacteur, l’isotope U 238 (soit 99,2% de l’uranium naturel), qui n’est pas fissile, se transforme, par capture d’un neutron, en plutonium 239, lequel est fissile. Ces réacteurs ont donc la capacité de générer, à partir d’une matière non directement énergétique (l’U 238), un combustible fissile producteur d’énergie.  

5 000 ans de production d’électricité

A partir du moment où la totalité de l’uranium (et non plus seulement 0,7%) concourt à la production d’énergie, le rendement du processus s’accroit dans des proportions considérables. Ce rendement est au moins soixante fois supérieur, selon les configurations techniques adoptées, à celui d’un réacteur nucléaire classique. Cela veut dire qu’avec la même quantité d’uranium, le réacteur surgénérateur produit soixante fois plus d’électricité. Dès lors, les échelles de durabilité sont faciles à établir. Si l’on s’en tient aux quelque 6 millions de tonnes de réserves mondiales d’uranium aujourd’hui identifiées, la durée de fonctionnement d’un parc nucléaire mondial équipé en totalité de surgénérateurs n’est plus de 1 siècle mais de 5 100 ans au rythme actuel de consommation.

Quant à la France ses réserves d’uranium appauvri accumulées à ce jour[2] permettraient, utilisées dans des surgénérateurs, de garantir la production d’électricité du pays durant 5000 ans. ASTRID renvoie donc à un enjeu majeur : celui de l’utilisation optimale de la ressource uranium garantissant une fourniture massive d’énergie bien après l’épuisement inéluctable des combustibles fossiles, pétrole, charbon et gaz dont les réserves ne dureront guère au-delà d’un ou deux siècles. Outre cette exceptionnelle propriété, les réacteurs à neutrons rapides (RNR) offrent deux autres possibilités essentielles : le recyclage et le « brûlage » progressif du plutonium produit dans les centrales nucléaires classiques ou celui provenant des engins militaires devant être démantelés ;  la transformation de la plupart déchets radioactifs à vie longue (actinides mineurs) par transmutation en éléments à vie courte (une opération irréalisable dans les réacteurs traditionnels), ce qui serait un pas décisif dans la résolution du problème des déchets. On peut aussi estimer que cette filière de réacteurs pourra agir dans le sens d’une résistance à la prolifération car ils font disparaître la nécessité d’enrichir l’uranium et consomment eux-mêmes le plutonium qu’ils produisent.  

L’expérience française

Si l’on range par convention les réacteurs à neutrons rapides parmi les réacteurs du futur, il faut rappeler que plusieurs de ces réacteurs fonctionnent ou ont déjà fonctionné dans le monde, en Russie, au Japon, en Chine, en France. Cette technique est donc largement connue et expérimentée. La France a été pionnière dans ce domaine avec notamment l’exploitation des réacteurs Phénix (à Marcoule) et Superphénix (à Creys Malville). Le premier a été mis hors service en 2009 après 35 années de fonctionnement. Le second, de très grande puissance (1 200 MWe) a connu un sort plus mouvementé. Durant ses onze années d’existence, de 1986 à 1996, il a connu deux problèmes techniques nécessitant des réaménagements qui l’ont immobilisé pendant deux ans.

Sur les neuf ans restants où le réacteur aurait pu fonctionner il a dû attendre pendant une durée cumulée de quatre ans et demi de nouvelles autorisations administratives de redémarrage. Restent quatre ans et demi durant lesquels il a fonctionné dans des conditions de sûreté et de disponibilité pleinement satisfaisantes, accumulant une connaissance technique non négligeable des possibilités de la filière. Il a ensuite été fermé à l’initiative de Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement du gouvernement de Lionel Jospin. On peut d’autant plus regretter cette fermeture prématurée, sans véritable justification, que la poursuite de son exploitation aurait probablement permis des progrès encore plus rapides dans la maîtrise d’une filière prometteuse. Il reste qu’au regard du jugement porté par l’ASN on peut estimer qu’avec ASTRID les équipes françaises sont engagées dans la voie efficace pour apporter dans des conditions de sûreté optimisées la démonstration des potentialités exceptionnelles de ces nouveaux réacteurs…et préfigurer ainsi leur développement industriel futur.    


Uranium appauvri résultant des opérations d’enrichissement et de retraitement

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