9. Parc nucléaire : la manoeuvrabilité au détriment de la performance ?
Article publié dans la Revue Générale Nucléaire ÉTÉ 2023 #2
La part croissante des énergies renouvelables intermittentes dans le mix électrique imposera aux réacteurs nucléaires de réaliser de plus en plus de variations de puissance. Si les tranches françaises ont été conçues pour moduler leur fonctionnement, EDF mène des études pour en mesurer les effets dans le cadre d’une exploitation à long terme.
Chaque exploitant conserve en mémoire l’épisode d’une panne matérielle survenue après quelques variations de puissance. De là à établir le lien entre manoeuvrabilité (ou modulation, flexibilité, variations de puissance, suivi de charge soit autant de termes équivalents) et un surcroît de défauts sur les équipements, il n’y a qu’un pas. Faut-il le franchir ? Les variations de charge, qu’on s’attend à observer de plus en plus souvent avec l’augmentation de l’offre de production renouvelable, réduisent-elles les performances du parc nucléaire et pourraient-elles nuire à la prolongation de l’exploitation ? Ces variations sont réalisées en respectant un cadre technique bien défini. Afin
de savoir s’il existe un lien entre ces modulations et d’éventuelles défaillances, il est possible de s’appuyer sur le traitement des nombreuses données issues du retour
d’expérience d’EDF. Les capacités de manoeuvrabilité des 56 réacteurs du parc peuvent se résumer à trois données1 :
↦ une amplitude de baisse de 80 % (le réacteur peut descendre à 20 % de sa puissance nominale) ;
↦ 30 minutes nécessaires pour descendre ou remonter en puissance ;
↦ deux variations par jour maximum.
Quel impact sur le circuit primaire ?
La baisse de puissance électrique entraîne une modification du point de fonctionnement des circuits (voir figure 1).
Si le circuit secondaire (la partie conventionnelle : turbine, alternateur, condenseur, poste d’eau) connaît des variations de pression et de température qui peuvent l’affecter, le circuit primaire est beaucoup plus stable : la pression ne change pas et la température varie de quelques degrés seulement. L’eau reste en phase liquide dans la cuve, dans les branches chaudes et froides et les générateurs de vapeur. L’équilibre chimique est certes modifié. La concentration en bore est un moyen de pilotage du réacteur lors des variations. Le bore étant un acide, le pH du primaire est ajusté en ajoutant du lithium. Après une variation, la concentration en lithium est à affiner pour rester au plus près du pH visé. C’est le travail des chimistes de la centrale, en étroite collaboration avec les équipes qui pilotent le réacteur en continu.
Le nombre de variations est suivi. À la conception, un nombre d’occurrences maximales a été défini pour plusieurs points du circuit primaire (soudures) et différents types de variations (passage à l’arrêt complet, passage en arrêt à chaud, baisses de charge, etc.). Chaque jour, les essayeurs analysent les paramètres et classent les transitoires par catégorie. La capacité théorique de deux baisses par jour a été définie pour ne pas dépasser l’occurrence maximale. Aucun réacteur n’a jamais été baissé deux fois par jour, tous les jours, tous les ans. En moyenne, ces quinze dernières années, entre 25 et 35 variations par réacteur et par an sont effectuées. Le suivi du nombre de variations dans les prochaines années permettra de s’assurer que les limites ne sont pas dépassées. Et même si un réacteur s’en approchait, cela n’empêcherait pas la poursuite de l’exploitation, sous certaines conditions d’exploitation ou de maintenance. Sa contribution aux baisses pourrait être réduite. Voire, la portion de circuit en cause, déjà régulièrement surveillée lors des arrêts de tranches, pourrait faire l’objet de contrôles approfondis pour repousser ce maximum, voire être changée si l’intérêt économique était confirmé.
En résumé, le circuit primaire est surveillé, les limites sont connues, et aucun impact des variations de charge sur l’état des composants n’a pour l’instant été observé. Seul un suivi continu permettra de confirmer ce constat dans la durée.
Quel impact sur la production ?
Le circuit secondaire est plus exposé. Mais si des limites technologiques et réglementaires s’appliquent également, l’enjeu n’est pas le même. En effet, il est plus facile de remplacer un composant défectueux sur le circuit secondaire que sur le circuit primaire. Les variations de pression et de température qui s’exercent sur le circuit secondaire font « vivre » les équipements. Les cycles de dilatation-contraction peuvent théoriquement conduire à des inétanchéités, des usures de joints. Le fonctionnement des pompes en dehors de leurs conditions nominales peut les faire vibrer. Une corrosion-érosion accrue peut également accélérer la perte d’épaisseur de certains tuyaux, allant jusqu’à un défaut traversant. À l’arrivée, il est possible d’imaginer un surcroît de maintenance et des arrêts fortuits le temps de réparer.
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Par Stéphane Feutry (EDF, DPN), avec Daniel Hobbs, Paul Grente, Michel Boule, Lidia Deveaux (Usine Data Analytics EDF), Jeremy Godfroy et Jun Zeng (DPN)
Photo I La part d’électricité renouvelable intermittente sur les réseaux va s’accroître et forcer les réacteurs nucléaires à moduler en conséquence.
© Lucille Pellerin//Capa Pictures