9. Les effets biologiques des rayonnements ionisants
L’étude de l’impact des rayonnements ionisants sur l’ADN, les organes et l’organisme est un sujet de recherche vivant et très actif. La compréhension des mécanismes biologiques et des effets-seuil est au coeur des stratégies de radioprotection.
Les rayonnements ionisants sont présents dans notre environnement naturel depuis l’origine de la vie sur Terre. Nous sommes ainsi exposés à une dose naturelle moyenne de 2,4 mSv/an (avec des variations de 1 à plus de 10 mSv selon le lieu1 (2,95 mSv/an en France2). La source d’exposition naturelle la plus importante est le radon issu de la désintégration de l’uranium 238 et plus particulièrement présent dans les régions granitiques. Les autres sont les rayonnements telluriques (0,48 mSv/an) issus de radionucléides présents sur terre depuis sa formation : potassium 40, uranium 238 et 235, thorium 232, pour les plus fréquents. Mais également le rayonnement cosmique (0,39 mSv/an) et l’exposition alimentaire (0,29 mSv/ an) car nous mangeons quotidiennement du carbone 14, du tritium, du potassium 40, du rubidium 87, et les fumeurs inhalent le polonium 210 que contient le tabac.
L’exposition médicale est la plus importante source d’exposition de la population aux rayonnements d’origine humaine (0,57 mSv/ an en moyenne3) : radiologie, soins dentaires, médecine nucléaire, radiothérapie. Ces radiations sont toujours prescrites de façon justifiée et le bénéfice/risque favorable. La part des autres sources artificielles est anecdotique.
Pour le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear), sont considérées comme très faibles des doses inférieures à 10 mGy, faibles des doses comprises entre 10 et 100 mGy, modérées des doses comprises entre 100 et 1 000 mGy, et élevées les doses supérieures à 1 gray.
Les effets des rayonnements : ADN, cellules, tissus
Effets sur l’ADN
Tout se déroule en quelques minutes, de l’ionisation des atomes jusqu’aux lésions de l’ADN. La molécule d’ADN peut être ionisée soit par effet direct du rayonnement ionisant soit par effet indirect de la radiolyse de l’eau (effet prépondérant) avec production de radicaux libres. Ceci aboutit à des cassures simple brin et double brin, modifications de base, pontages ADN-protéine ou ADN-ADN, pertes de bases, etc.
Ces effets ne sont pas produits par les seules radiations ionisantes. Notre ADN est en permanence agressé et altéré par des radicaux libres issus de phénomènes physiques (rayonnement ionisant ou ultraviolet), chimiques (tabac, polluants), biologiques, physiologiques ou pathologiques (métabolisme oxydatif, température, infection, inflammation). On estime que les atteintes de l’ADN par des processus endogènes conduisent à plusieurs milliers de lésions par jour et par cellule4. Les capacités de réparation fidèle de l’ADN5 sont heureusement bien supérieures aux lésions survenant en permanence. Si la réparation est intégrale, alors l’effet de la lésion est nul. Une réparation fautive est le plus souvent incompatible avec la survie cellulaire et enclenche des phénomènes déterministes avec nécrose (mort immédiate) ou apoptose (mort programmée) de la cellule. Lorsque la réparation est fautive mais compatible avec la survie (mutation), la cellule peut encore être éliminée par l’immunité portée par les lymphocytes T6, sinon cela peut engendrer des effets stochastiques, à long terme.
Radiosensibilité des cellules
Plusieurs facteurs augmentent la radiosensibilité d’une cellule : sa jeunesse, sa faible différenciation, sa forte activité mitotique, sa bonne oxygénation, sa phase dans le cycle cellulaire (mitose)7. La survie cellulaire dans un tissu diminue aussi avec l’intensité du transfert d’énergie.
Pour une même dose, si celle-ci est donnée en plusieurs fois, la cellule a le temps de se réparer. Cela est moins vrai si le débit de dose est élevé ou le fractionnement faible. Ces éléments sont utilisés en radiothérapie8.
1. « Radiation : effets et sources », Programme des Nations unies pour l’environnement, 2016, ISBN No 978-92-807- 3597-0. 2. « Exposition de la population française aux rayonnements ionisants, 2014-2019 », rapport de l’IRSN. 3. Rapport du comité UNSCEAR, 2021. 4. Beckman, K.B. et Ames, B.N. (1997). “Oxidative decay of DNA”. Journal of Biological Chemistry, vol. 272, no 32, p. 19633‑19636. doi : 10.1074/ jbc.272.32.19633. 5. Tharmalingam, S., Sreetharan, S., Brooks, A.L. et Boreham, D.R. (2019). “Re-evaluation of the linear no-threshold (LNT) model using new paradigms and modern molecular studies”. Chemico-Biological Interactions, vol. 301, november 2018, p. 54‑67. doi : 10.1016/j. cbi.2018.11.013. 6. Ferrara, T.A., Hodge, J.W. et Gulley, J.L. (2009). “Combining radiation and immunotherapy for synergistic antitumor therapy”. Current Opinion in Molecular Therapeutics, vol. 11, no 1, p. 37‑42. 7. McMahon, S.J. (2019). “The linear quadratic model : Usage, interpretation and challenges”. Physics in Medicine and Biology, vol. 64, no 1. doi : 10.1088/1361-6560/ aaf26a. 8. Terashima, S., Hosokawa, Y., Tsuruga, E., Mariya, Y. et Nakamura, T. (2017). “Impact of time interval and dose rate on cell survival following low-dose fractionated exposures”. Journal of Radiation Research, vol. 58, no 6, p. 782‑790. doi : 10.1093/jrr/rrx025.
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Par le Dr Nathalie Prévôt-Bitot, maître de conférence universitaire, praticien hospitalier biophysique et médecine nucléaire, chef de service de médecine nucléaire du CHU de Saint-Étienne – Inserm
Photo I Légende : La molécule d’ADN peut être ionisée soit par effet direct du rayonnement ionisant soit par effet indirect de la radiolyse de l’eau (effet prépondérant) avec production de radicaux libres. Ceci aboutit à des cassures simple brin et double brin, modifications de base, pontages ADN-protéine ou ADN-ADN, pertes de bases, etc.
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