7. Canicule 2022 : les enjeux liés à l’eau pour le fonctionnement du nucléaire
Pour continuer à produire de l’électricité alors que les conditions climatiques de cet été 2022 ont été extrêmes (chaleur et sécheresse), les limites thermiques liées aux rejets de certaines centrales ont été relevées temporairement à quatre reprises par arrêté. EDF a alors dû procéder à un bilan environnemental de l’impact du fonctionnement des centrales concernées, conformément à la réglementation.
Pour fonctionner, une centrale thermique (fossile ou nucléaire) nécessite une source d’eau froide. La source chaude constituée par l’eau du circuit primaire chauffée par le combustible (uranium fissile dans e cas nucléaire) transmet son énergie thermique au circuit secondaire, générateur de vapeur. L’eau ainsi vaporisée entraîne un groupe turbo-alternateur qui produit l’électricité, puis s’échappe de celui-ci vers le condenseur où elle y est refroidie et condensée. Le circuit tertiaire assure la dissipation de la chaleur du condenseur par transfert thermique vers la source froide.
Par conception, le circuit de refroidissement peut fonctionner en circuit ouvert ou en circuit fermé. Dans le premier cas, l’eau prélevée par pompage depuis un cours d’eau au débit suffisant (source froide), ou la mer, est quasi entièrement restituée à son milieu d’origine. Dans le deuxième, l’eau circule, dans un circuit fermé et est refroidie au moyen d’une tour aéroréfrigérante : la chaleur est dissipée dans l’atmosphère. Ce mode de refroidissement permet de réduire drastiquement les prélèvements en eau.
Généralités sur la réglementation environnementale liée au fonctionnement des centrales
Les impacts afférents sur les écosystèmes marins et d’eau douce et la gestion de la ressource en eau sont encadrés par des directives européennes et déclinés dans une réglementation nationale. Ces impacts concernent les rejets radioactifs, chimiques et thermiques pour lesquels on dispose des techniques de mesure directe – la température de l’eau (amont, de rejet et en aval) – ou indirecte – le pH de l’eau pour la qualité de l’eau ou l’état sanitaire des espèces piscicoles pour l’impact sur la biodiversité lié à l’élévation de température ou la modification des paramètres physico-chimiques du milieu (pH, concentration de dioxygène, etc.).
En France, les autorisations de prélèvement d’eau et de rejets sont accordées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en accord avec le Code de l’environnement. Elles font l’objet d’une étude d’expertise propre à chaque centrale suivant les paramètres écologiques du milieu, le bassin d’implantation, la qualité de l’eau, le débit, le mode de refroidissement. Enfin, ces autorisations sont sujettes à des limitations (ou seuils) en termes de rejets. Pour les rejets thermiques, les seuils sont de deux ordres : un premier concerne l’échauffement amont-aval après mélange des eaux de rejet (noté ΔT dans la suite de cet article), un second concerne la température absolue aval après mélange (Taval). Ces seuils définissent la plage des paramètres climatiques au sein de laquelle un fonctionnement normal des centrales (au sens réglementaire a priori) est assuré.
Un été 2022 exceptionnellement chaud et sec
Selon les statistiques de Météo France (figure 1), l’été 2022 a été en moyenne le deuxième été le plus chaud et sec après l’été 2003. Cette situation climatique exceptionnelle des températures, très élevées par rapport à la normale de saison, doublée d’un déficit historique des précipitations, a fortement contraint les cours d’eau, en particulier le Rhône qui, sur les mois de juillet et d’août 2022 a connu une hydraulicité « très en dessous de la moyenne […]1 ».
Ces conditions exceptionnelles ont posé la question de la capacité de fonctionnement des réacteurs situés en bord de certaines rivières, au regard de leur besoin en eau. Fallait-il réduire leur puissance ou leur accorder des dérogations ? En somme, est-on sorti du mode de fonctionnement normal ?
Les trois situations prévues
Les centres nucléaires de production d’électricité (CNPE) peuvent se retrouver dans trois situations définies de façon graduée vis-à-vis des limites thermiques. Ces dernières, nous l’avons dit, peuvent porter à la fois sur les températures absolues du cours d’eau en aval de la centrale et sur l’échauffement relatif entre l’amont et l’aval du CNPE. Ces trois situations – Conditions climatiques normales (CNN), Conditions climatiques exceptionnelles (CCE) et Situations exceptionnelles (SE) – exigent de satisfaire à différents critères d’entrée : aucun pour les CNN (mode de fonctionnement normal) ; celui d’assurer l’équilibre du réseau sur requis du gestionnaire du réseau (RTE) pour le passage en CCE ; enfin, pour le cas des SE, soit sur requis de RTE comme précédemment, soit sur demande explicite émanant d’instances publiques.
Pour les deux premières situations, CNN et CCE, les conditions de fonctionnement afférentes (programme de surveillance renforcée ou non, valeurs seuils, etc.) sont déjà prévues dans les décisions « Modalités » et « Limites » établies au niveau de chaque centrale. Plus particulièrement, ces derniers textes fixent les valeurs-seuils relatives aux limites thermiques au niveau de chaque centrale. Pour les SE, ce sont des arrêtés temporaires signés par le ministre, sur proposition de l’ASN, qui viennent relever les limites thermiques. On peut alors résumer les bascules entre les situations de fonctionnement des CNPE de la façon suivante : lorsqu’un premier seuil-limite est dépassé (celui-ci étant défini au niveau du CNPE), par défaut la puissance de la centrale est réduite, voire jusqu’à l’arrêt de l’unité, sauf si RTE estime que les besoins en puissance du réseau nécessitent d’arbitrer en faveur de son fonctionnement, la limite de fonctionnement étant alors fixée au deuxième seuil-limite (défini au niveau de chaque CNPE). Lorsque le deuxième seuil-limite est dépassé, la centrale voit sa puissance réduite ou est arrêtée2, sauf si RTE ou des instances publiques estiment que son fonctionnement est nécessaire. Dans ce cas, des arrêtés spécifiques viennent modifier temporairement les limites de rejets thermiques accordées aux CNPE : c’est l’entrée dans la SE.
Découvrez l’infographie associée à l’article.
1. Eaufrance, « Synthèse de la situation hydrologique sur le bassin Rhône-Méditerranée », juillet-août 2022. 2. Sinon, la centrale sera par définition déjà arrêtée. Notons toutefois qu’on peut se retrouver dans des cas où le CNPE passe directement de CCN à SE, sans passer par CCE. La logique reste la même.
Cet article est réservé aux adhérents de la SFEN. Pour lire la suite et avoir accès à l’ensemble de nos archives, abonnez-vous à la Revue Générale Nucléaire.