6/9 – Tour d’horizon des systèmes avancés de propulsion nucléaire
Avec les multiples projets de conquête martienne et pour explorer les confins du système solaire et au-delà, la propulsion nucléaire fait un retour en force. Elle ouvre un large champ d’applications, notamment pour raccourcir les durées des « voyages ». Un sujet présenté à l’occasion d’une journée organisée par le CNES, le CEA et la SFEN, à Paris le 24 janvier 2020.
A l’heure actuelle, l’industrie spatiale utilise des combustibles solides ou liquides en réaction chimique pour la propulsion ou des moteurs de propulsion électrique alimentés par des panneaux solaires. Mais ces technologies sont limitées, notamment en ce qui concerne les voyages lointains ou pour propulser des voyages habités sur Mars. Le temps de voyage vers Mars serait de six à neuf mois. Avec la propulsion nucléaire thermique, ce temps pourrait être raccourci de près de la moitié. Au-delà de l’aspect psychologique positif pour les spationautes (qui auraient moins de temps à passer dans l’espace confiné du vaisseau spatial), la limitation des doses de radiation auxquelles ils seraient soumis au cours du vol (rayonnements galactiques et éruptions solaires) est un enjeu fondamental [1]. En outre, pour aller au-delà de l’orbite de Jupiter, les panneaux solaires peuvent s’avérer insuffisants ou se dégrader. Ainsi, la sonde Rosetta, qui explore les confins de l’univers, a perdu une partie de son alimentation, et n’a pu réaliser qu’un tiers de ses expérimentations. Le nucléaire a de toute évidence une carte à jouer.
Le nucléaire pour la propulsion
C’est après la Seconde guerre mondiale et l’utilisation opérationnelle de la fission nucléaire que les projets de propulsion nucléaire spatiale se multiplient : Nerva 2 puis SP100 aux États-Unis, RD-0410 en Russie, Erato et MAPS en France. Mais la fission est loin d’être la seule technologie proposée. Rappelons d’abord que toutes les techniques de propulsion sont fondées sur le même principe « d’action-réaction » : de la matière est éjectée dans un sens (action) et une poussée s’exerce dans l’autre sens (réaction).
Deux grands principes de propulsion via le nucléaire sont en présence. C’est historiquement la propulsion nucléaire thermique qui est apparue dans le contexte de la guerre froide et de course à l’espace entre les États-Unis et l’URSS, à la fin des années 1950. Le réacteur nucléaire sert à chauffer un gaz qui est ensuite éjecté dans l’espace. Ce système offre aux engins qui en seraient pourvus une réserve d’énergie considérable par rapport aux propulseurs chimiques, permettant de tracer une trajectoire plus directe dans l’espace sans être contraints d’utiliser l’assistance et l’attraction gravitationnelle des planètes pour économiser le carburant, et ainsi raccourcir les temps de vol, élargir les fenêtres de tir et/ou réduire les masses à déposer en orbite terrestre et donc, in fine, le coût des missions. Ensuite, sont apparus de petits réacteurs électronucléaires pour alimenter un moteur de propulsion électrique spatial. C’est ce qu’on appelle la propulsion nucléaire électrique.
Électrique versus thermique
Dans un système de propulsion spatiale électrique, des moteurs de propulsion électrique sont utilisés : ils sont basés sur l’éjection d’ions accélérés par des champs électriques, ou sur l’éjection de plasmas accélérés par magnétodynamique. Ces moteurs ont donc besoin d’énergie électrique pour fonctionner. Une énergie qui peut être fournie par des panneaux solaires, avec les limites de puissance connues, ou par des réacteurs électronucléaires lorsque le niveau de puissance requis est trop élevé ou que la mission est trop éloignée du Soleil. La propulsion spatiale nucléothermique n’a, elle, pas recours à l’électricité pour accélérer et éjecter la matière propulsive : c’est la chaleur produite par un réacteur nucléaire qui va communiquer l’énergie nécessaire au fluide propulsif.
Pour Éric Proust, chef de programme à la direction scientifique énergies du CEA, « les performances d’un moteur de propulsion spatiale sont caractérisées par deux paramètres principaux.
Premièrement, la poussée, soit la force exercée par le moteur sur l’engin spatial, une force qui est le produit du débit de masse de matière éjectée par la vitesse d’éjection de cette matière. Plus la poussée est forte, plus la destination est atteinte rapidement.
Deuxièmement, l’impulsion spécifique (ISP) qui équivaut à la vitesse d’éjection de la matière. Plus celle-ci est élevée, moins on a besoin d’emporter de fluide de propulsion [3]. La propulsion électrique permet typiquement des ISP très élevées pour des poussées très faibles, à l’exact inverse de la propulsion thermique (chimique ou nucléaire) ».
À titre d’exemple, l’Agence spatiale russe a récemment confirmé un projet, doté d’un budget annuel récurrent de 33 millions de dollars, visant à tester en vol, d’ici 2030, un système de propulsion nucléaire électrique destiné à des missions de navette cargo entre orbites terrestre et lunaire. Développé depuis 2010 par le Centre Keldysh, le réacteur électronucléaire, associé à un propulseur à plasma, chauffe un gaz qui alimente un turboalternateur.
Les propulseurs magnétoplasmadynamiques (MPD) se fondent sur la force Lorentz. La technologie la plus avancée et la plus mature est celle de Vasimr [4] dont les premières expérimentations ont débuté en 1983 et ont été reprises et portées par Ad Astra, depuis 2005, en coopération avec la NASA dans le cadre de son programme Next Step depuis 2011. Un gaz (le xénon) est ionisé, donc transformé en ion xénon, auquel est appliqué un fort champ électrostatique entre deux grilles, créant un champ magnétique, donc un courant et une force de Lorentz, qui accélère les ions. Ce système peut créer des poussées très fortes avec en même temps une vitesse d’éjection de 30 km par seconde. Ces propulseurs réunissent donc une belle performance sur les deux paramètres essentiels que sont la poussée et l’ISP. Néanmoins, le problème de ce concept est le générateur qui représente une masse importante à cause des radiateurs de la source froide. Aujourd’hui, le ratio est de 25 kg par kW, « et on estime pouvoir arriver à 10, voire 12 kg par kW, mais il faudrait descendre à 1 kg par kW ».
Des systèmes plus originaux
D’autres systèmes plus originaux sont à l’étude. Par exemple, tirer avec un laser, alimenté par une source nucléaire, sur de la matière et éjecter de la matière pour faire de la propulsion. Autre technologie envisagée, celle d’un moteur sans éjection de masse, le moteur photonique. Il s’agit d’une source de lumière et donc de photons très énergétiques éclairant une surface : c’est la pression photonique (due à l’échange de quantité de mouvement entre les photons et la surface) exercée sur cette surface qui crée la poussée. Le rendement est pourtant très faible : pour créer une poussée de 3 N, il faut 1 GWe.
Viennent ensuite les propulseurs nucléothermiques (NTP), qui utilisent directement la chaleur du réacteur nucléaire pour chauffer un gaz propulsif [5] à haute température avant de le détendre et l’éjecter à travers une tuyère. L’avantage de ce système est d’offrir, pour un niveau de poussée comparable, une impulsion spécifique deux fois supérieure à celles des meilleurs propulseurs chimiques (propulseurs cryogéniques à oxygène et hydrogène liquides de type moteurs Vulcain équipant la fusée Ariane 5). Les performances ne sont en effet plus limitées par l’énergie des liaisons chimiques, mais par la résistance du matériau combustible à haute température en présence d’hydrogène. « Compte tenu des faibles durées de fonctionnement nécessaires (de l’ordre de quelques milliers de secondes) pour ces moteurs à forte poussée, des combustibles composites graphite-bicarbure d’uranium et de zirconium enrobés de carbure de zirconium permettent d’atteindre des températures d’hydrogène de 2700 kelvin (K) en entrée de tuyère, et de produire ainsi des impulsions spécifiques de près de 900 secondes », précise Éric Proust.
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