6. Les atouts de la filière française en Pologne et en République tchèque
La Pologne et la République tchèque ont manifesté leur intérêt pour l’offre française de construction d’EPR portée par EDF. La Corée du Sud et les États-Unis ont déposé des offres concurrentes dans ces deux pays. Que propose la France et quelles sont les forces et les faiblesses de ses concurrents ?
La filière nucléaire française travaille depuis des années sur la construction de nouvelles unités nucléaires en Europe. En République tchèque, EDF répond à l’appel d’offres de l’électricien ČEZ avec un réacteur EPR d’une puissance de 1 200 MW. On le sait, l’EPR tel qu’il a été proposé et construit dans le monde est un réacteur de forte puissance (1 650 MW) : il s’agit donc ici d’enrichir l’offre française avec un EPR de puissance moyenne et de s’adapter aux limitations techniques du site de Dukovany en matière d’infrastructures. Au-delà de cet unique projet, « c’est le renouvellement de tout le parc nucléaire vieillissant d’origine russe qui est en jeu », souligne Philippe Crouzet, haut représentant pour la coopération nucléaire franco-polonaise. La République tchèque compte aujourd’hui six réacteurs en exploitation, quatre de 500 MW à Dukovany et deux de 1 000 MW à Temelin, qui produisaient 36 % de l’électricité du pays en 2021.
Le programme polonais pourrait, quant à lui, aller dans un premier temps jusqu’à 9 GW de nucléaire. Contrairement à la République tchèque, il s’agit ici de créer ex nihilo une filière nucléaire. Selon les projections du gouvernement, le nucléaire pourrait ainsi représenter 9 % du mix électrique en 2035 et 16 % en 2040. Le charbon, quant à lui, passerait de près de 70 % en 2020 à 11 % grâce aux nouvelles capacités de production bas carbone, nucléaire et énergies renouvelables.
Des points de vue différents
La manière de mener à bien ces projets nucléaires diffère. Alors que l’appel d’offres de la République tchèque offre une grande transparence et un traitement équitable des candidats, le processus polonais se montre plus opaque. « Les Polonais ont signé à la fin de l’année 2020 un accord intergouvernemental avec les États-Unis, ce qui domine aujourd’hui l’ensemble du processus », explique Philippe Crouzet. Une seconde différence relève de la valorisation du caractère européen de l’offre française. « Nous proposons une coopération dans le cadre européen, détaille Philippe Crouzet. Développer un projet nucléaire aujourd’hui en Europe n’est pas simple, notamment parce qu’un certain nombre de pays ont pris position contre le nucléaire et n’hésitent pas à faire des contentieux ». L’Autriche et le Luxembourg ont ainsi attaqué en justice en 2018 le projet hongrois de Paks II ainsi que, avec l’Allemagne, celui d’Hinkley Point C au Royaume-Uni. « Les subventions sont là pour soutenir les technologies modernes qui sont dans l’intérêt général de tous les États membres de l’Union européenne. Ce n’est pas le cas de l’énergie nucléaire », avait notamment déclaré en 2015 le chancelier autrichien, Werner Faymann, contre le projet britannique. Dans ce contexte, « nous indiquons à nos interlocuteurs que la France a déjà une longue expérience de discussions avec la Commission européenne. Ce point-là est reconnu comme un des atouts de l’offre française par les Tchèques, mais semble moins valorisé par les Polonais », clarifie Philippe Crouzet.
Les ambitions nationales, un facteur de crédibilité de l’offre française
La place réservée au nucléaire dans les politiques énergétiques nationales impacte directement la crédibilité de l’offre à l’export. L’offre française a pendant un temps souffert d’un manque de clarté de l’État français quant à l’avenir de sa filière nucléaire. Que ce soit la Pologne ou la République tchèque, les deux pays sont à la recherche d’un partenariat de long terme et l’engagement des acteurs dans la durée est un argument-clé. Depuis l’annonce du programme de construction de six à quatorze EPR 2 par le président de la République en février 2022, l’offre française a gagné en crédibilité. « Il nous faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France », avait notamment déclaré Emmanuel Macron. Plus encore, la proximité des calendriers de construction en France, en Pologne et en République chèque laisse présager un effet d’échelle important si la même technologie est retenue. Ce dynamisme fait défaut aux États-Unis qui ne comptent aucun projet de construction de forte puissance à domicile.
Quant à la Corée du Sud, le précédent gouvernement avait suspendu la construction de deux APR 1400 à Shin Hanul et misait sur une sortie du nucléaire à long terme, mais le gouvernement nouvellement élu en mars 2022 a relancé ce dernier et a annoncé ses ambitions à l’export : dix centrales d’ici à 20301.
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