5/9 – L’atome, indispensable à l’exploration spatiale - Sfen

5/9 – L’atome, indispensable à l’exploration spatiale

Publié le 9 mars 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Assurer l’alimentation électrique des différents appareils parcourant l’espace est un défi que l’humanité a su relever avec un panel de technologies, dont les irremplaçables générateurs radioisotopiques, destinés à maintenir au chaud des composants (RHU) et à les alimenter en électricité (RTG). Aujourd’hui, de nouveaux modèles de générateurs thermoélectriques sont en développement en Europe. En ligne de mire : procurer une plus grande indépendance aux missions spatiales européennes.

Les « chaufferettes » RHU pour Radioisotope Heater Units, assurent la survie des composants en les protégeant des températures extrêmes. Cette chaleur n’est pas issue de fissions mais de la décroissance radioactive de noyaux lourds, généralement du plutonium 238. Le choix du 238 Pu est motivé par deux propriétés intéressantes : son importante radioactivité (et donc sa puissance) et ses rayonnements alpha peu pénétrants (améliorant la sûreté). La structure des générateurs thermoélectriques ou RTG est similaire aux RHU à un détail près, le convertisseur thermoélectrique transformant la chaleur en électricité.

D’une puissance électrique de 10 à 100 watts (jusqu’à 1 kWe avec des modifications du système de conversion), seuls les RTG offrent une alimentation énergétique là où le rayonnement du Soleil est trop faible pour l’utilisation de panneaux solaires.

Les sondes orbitales aux confins du système solaire

Les panneaux solaires présentent des avantages indéniables à proximité de la planète bleue : ils sont bien adaptés, performants et peu coûteux. Néanmoins, la courbe d’ensoleillement allant décroissant au fur-et-à mesure que l’on s’éloigne de notre étoile, le nucléaire devient plus intéressant aux abords de Jupiter et indispensable au-delà. 

La sonde Cassini de la NASA était équipée de trois RTG. Lancée en 1997, elle a exploré le système saturnien de 2004 à 2017, soit une mission de 20 ans. Elle a pu observer Saturne, ses anneaux et ses nombreux satellites, en particulier Titan où le module Huygens a atterri. Titan et ses 5 100 km de diamètre n’avaient été survolés qu’une fois jusqu’alors, en 1980, par la sonde Voyager 1. Les sondes jumelles, Voyager 1 et 2, lancées en 1977 par la NASA ont parcouru notre système solaire et l’ont même quitté, tout en envoyant des informations en continu. Après bientôt 43 années d’exploration [1], l’alimentation en énergie est toujours assurée par 3 RTG et 9 RHU sur chacune des sondes. Voyager 1 a survolé les systèmes de Jupiter et de Saturne et est devenu, en 2012, le premier engin à sortir de notre système solaire. Voyager 2 a également survolé Jupiter et Saturne mais également Uranus et Neptune avant de quitter, lui aussi, le système solaire en novembre 2018.


Si les panneaux solaires présentent des avantages à proximité de la Terre pour fournir l’électricité, le nucléaire devient plus intéressant aux abords de Jupiter et au-delà


Ces missions sont à l’origine de grandes découvertes telles que les geysers d’azote liquide sur Triton ou encore la mise en évidence de la très forte activité volcanique sur Io, l’une des quatre lunes galiléennes de Jupiter. Voyager 2 a aussi pu envoyer des informations sur les plasmas [2] de l’héliopause, la limite extérieure de l’héliosphère qui marque le début de l’espace interstellaire et donc la fin de notre système.

A retenir

Différents termes sont utilisés pour désigner les membres des équipages spatiaux selon leur nationalité : ainsi le cosmonaute est russe, l’astronaute est américain, le taikonaute est chinois et le spationaute est français/européen. Mais la suprématie de la NASA dans le domaine spatial à la fin de la guerre froide a néanmoins généralise le terme d’astronaute.

 

Les rovers à la surface des astres

Les rovers équipés de RTG/RHU peuvent étendre leur capacité opérationnelle, y compris sur Mars ou la Lune, n’étant pas soumis aux variations des rayonnements solaires selon la latitude ou le relief. D’ailleurs, la NASA a opté pour une alimentation électrique nucléaire pour Curiosity, lancé en novembre 2011, et pour Mars 2020, la mission ayant pour objectif de ramener des échantillons sur Terre, à la recherche de traces de vie [3].


Le film « Seul sur Mars » se base sur la science et illustrre de futures utilisations de générateurs thermoélectriques à radioisotope pour l’homme sur Mars


Un RTG apparaît également dans le film « Seul sur Mars ». L’astronaute Mark Watney, joué par Matt Damon, s’équipe d’un RTG et coupe le chauffage afin d’économiser la batterie de son véhicule tout en maintenant une température minimale à bord (l’hiver, la température peut chuter jusqu’à -140 °C sur la planète rouge). Cette oeuvre de fiction se base bel et bien sur la science et illustre de futures utilisations de générateurs thermoélectriques à radioisotope pour l’homme sur Mars.

Plutonium 238 ou américium 241 ?

Pour l’heure, les chercheurs s’interrogent encore quant au choix du radioisotope idéal. Le plutonium 238 (238Pu), avec une demi-vie de 88 ans offre une forte puissance sur des temps plus courts que l’américium 241 (241Am) dont la demi-vie est de 432 ans. Mais ce dernier est 4 à 5 fois moins puissant et ne peut donc répondre aux mêmes besoins. Sur ce point particulier, mais ce serait sûrement vrai sur beaucoup d’autres, il serait nécessaire de renforcer le dialogue entre l’industrie nucléaire et l’Agence spatiale européenne (ESA) afin de définir une politique de R&D ciblée. 

Pour produire du 238Pu ou de l’241Am, plusieurs solutions sont envisagées. Concernant le premier isotope, l’une des pistes consisterait à irradier du neptunium 237 (237 Np) dans un réacteur de recherche du même type que le réacteur Jules Horowitz (RJH) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), actuellement en construction à Cadarache. La France deviendrait alors un fournisseur européen de 238Pu.

Une autre solution, en ce qui concerne le deuxième isotope, est la valorisation d’actinides mineurs présents dans les combustibles usés. Ces vingt dernières années, le CEA a mené d’importantes recherches pour séparer les actinides mineurs (neptunium, américium et curium) du combustible usé et la faisabilité du procédé a été démontrée.

 
A retenir
Des températures extrêmes : on ne peut théoriquement pas descendre en dessous de 0 kelvin, soit -273,15 °C mais on peut s’en approcher. Sans la protection d’une atmosphère, les températures varient fortement : en orbite terrestre la température peut potentiellement monter jusqu’à 150 °C au Soleil et -120 °C à l’ombre. Quant à la surface de la Lune les températures varient entre 100 °C et -183 °C.
 
 

Un RTG français en cours de développement

A priori il n’y a aucun lien entre Cigéo, le projet de centre de stockage profond pour les déchets français radioactifs à vie longue et l’exploration spatiale. Si ce n’est qu’à 500 mètres sous terre – ou sur la planète Mars précisément –, assurer l’alimentation d’appareils électriques représente un véritable défique les RTG sont capables de relever. Ceux-ci permettraient d’alimenter les capteurs électriques des alvéoles de stockage pendant une centaine d’années, le tout sans câbles traversant les couches géologiques. 

Depuis 2017, le projet de RTG pour l’Andra (l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) rassemble Orano, partenaire et coordinateur du projet, HotBlockOnboard (HBOB), une entreprise spécialisée dans les systèmes de conversion de chaleur en électricité et le Laboratoire d’énergétique et de mécanique théorique et appliquées (LEMTA) du CNRS/université de Lorraine.Ce projet fait partie du programme des investissements d’avenir « Nucléaire de demain » qui a pour objectif l’optimisation de la gestion des déchets radioactifs de démantèlement. Le projet comprend des avancées à la fois techniques et organisationnelles.

D’abord, d’importants travaux ont été réalisés pendant les 2,5 années du projet, dont la conception d’un modèle numérique des échanges thermiques et des avancées sur le dimensionnement et la fabrication de convertisseurs thermoélectriques. « Le point d’orgue du projet, explique Étienne Fourcy, chef de projet (Orano), est la réalisation d’un prototype alimenté par une source chaude simulée, permettant de tester les convertisseurs en conditions représentatives de l’environnement de Cigéo. Les résultats des campagnes d’essais, ajoute-t-il, sont des éléments de retour d’expérience précieux qui permettent d’affiner le modèle numérique et d’apporter des idées d’améliorations pour envisager d’aller vers un prototype, plus performant, équipé cette fois d’une véritable source d’241Am ».

Ensuite, il s’agirait de mettre à profit les compétences acquises grâce au RTG terrestre de Cigeo via les échanges avec les acteurs des secteurs nucléaire et spatial, français ou européens. Orano a participé au Launch Safety Authorization Process (LSAP) avec ArianeGroup. L’entreprise française s’est également rapprochée du Joint Research Center (JRC) de Karlsruhe, ainsi que du National Nuclear Laboratory (NNL) et de l’université de Leicester qui travaillent outre-Manche sur des RTG/RHU alimentés à l’américium 241. L’objectif est clair : organiser la filière européenne, au service de la science et de l’exploration de l’univers.


Voyager 1 est lancé le 5 septembre 1977 et Voyager 2 le 22 août 1977

Les instruments d’analyse plasma de Voayger 1 étaient hors-service.

Voir l’infographie de l’article 4, RGN 1 2020

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Par Gaïc Le Gros, SFEN – Photo : © NASA/JPL-Caltech – Construction du rover Mars 2020 : le RTG sera placé à l’arrière entre les deux panneaux équipés d’échangeurs de chaleur.