40 ans et au-delà : c’est possible - Sfen

40 ans et au-delà : c’est possible

Publié le 1 mars 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021

Le 28 février, sur le plateau de France 3, Ségolène Royal s’est dite « prête à donner (le) feu vert » au prolongement de dix ans de l’exploitation des centrales nucléaires françaises, sous réserve de l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire. La Ministre de l’environnement a ainsi ouvert la porte à une exploitation au-delà de 40 ans. 

 

Qu’est que la « durée de vie » d’une centrale ?

La notion de « durée de vie » peut recouvrir des réalités très différentes. La durée de vie peut être « comptable », liée aux règles d’amortissement. Dans les pays où l’autorisation d’exploiter est donnée pour une période limitée, la durée de vie est « réglementaire ». C’est le cas aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. En France, les décrets d’autorisation de construction des centrales ne mentionnent rien de tel.

La durée de vie peut aussi être « économique », durée au-delà de laquelle les coûts d’exploitation deviennent trop élevés et conduisent à choisir d’autres moyens de production. Enfin, il y a la durée de vie « technique », au-delà de laquelle la fiabilité des matériels ne répond plus aux exigences.

Généralement, les constructeurs ne fixent pas de durée de vie « technique » à leurs matériels. Sauf pour le circuit primaire principal[1] d’une chaudière nucléaire. Car en France, l’arrêté du 26 février 1974[2] stipule que le concepteur-constructeur – FRAMATOME en l’occurrence (AREVA aujourd’hui) – doit démontrer, à l’avance, que les matériels du circuit résisteront aux différents modes d’endommagement possibles pendant toute la durée d’exploitation de la centrale. Ce qui exige, pour les besoins de la démonstration, de faire une hypothèse sur ce que sera cette durée d’exploitation. En l’occurrence, les réacteurs français étant très proches en termes de conception des réacteurs américains, l’hypothèse retenue a été la même : celle d’une exploitation de 40 ans.

 

Et après 40 ans ?

Comme le souligne Jean-Pierre Hutin, ancien Directeur technique du parc nucléaire d’EDF[3], « Même si la chose n’a pas été regardée à l’origine, a priori, il n’y a pas de raison pour que tout tombe en ruine à 40 ans et un jour ! ». De fait, s’il a été démontré à la construction que le circuit primaire principal pouvait fonctionner au moins 40 ans, les études d’origine (faites avec des méthodes très pessimistes) présentent des marges importantes par rapport aux limites acceptables d’endommagement. Ensuite, l’exploitation des réacteurs a été plus « souple » que prévue, avec des températures moins élevées, des transitoires moins nombreux et plus doux… le vieillissement – qui est observé en permanence – s’avère donc plus lent.  Mais si des dégradations se développent plus rapidement que prévu, il reste possible de remplacer le matériel concerné. Cela a été le cas pour un certain nombre de générateurs de vapeur.

Pour la cuve du réacteur, FRAMATOME avait démontré qu’après 40 ans d’irradiation de la paroi, les critères réglementaires relatifs au risque de rupture étaient encore respectés. Et compte-tenu des marges prises à la construction, nul doute qu’ils le seront encore bien après (grâce notamment à un choix judicieux de matériaux). Mieux : à la fin des années 90, EDF a adopté des plans de chargement du combustible dans la cuve qui réduisent l’irradiation de la paroi de la cuve. De ce fait, le matériel se fragilise encore moins que ce qui avait été prévu à la conception. Et les marges pour exploiter jusqu’à 50, 60 voire 80 ans, sont encore plus importantes.

Par ailleurs, les nombreux travaux de R&D, les résultats de la surveillance, l’analyse du retour d’expérience français et international, les connaissances acquises sur le comportement des matériaux et les effets de l’irradiation[4] sont intégrés dans les modifications mises en oeuvre dans les centrales et permettent d’envisager l’avenir avec sérénité. De fait, avec une exploitation qui réduit le vieillissement, une maintenance qui en compense les effets et des améliorations régulières, il est pôssible d’affirmer que le niveau de sûreté des centrales augmente plutôt avec l’âge.

 

Des centrales de… 47 ans

Techniquement, rien n’empêche donc une centrale de fonctionner au-delà de 40 ans ou plus. Et c’est déjà le cas dans plusieurs pays. Ainsi, les Etats-Unis exploitent 99 réacteurs sur 65 sites. Le plus ancien – Oyster Creek (New Jersey) – est exploité depuis 1969. Il a donc soufflé ses 47 bougies… et son fonctionnement est prévu jusqu’en 2019. Il aura alors 50 ans.

Avant la construction d’une centrale nucléaire, l’exploitant américain doit déposer une demande une licence. Cette dernière a une durée définie par l’Autorité de sûreté américaine (NRC). Si l’exploitant veut continuer à exploiter après la date limite, il présente un dossier de renouvellement de licence. Et l’autorité de sûreté peut donner une nouvelle autorisation de poursuivre l’exploitation.

74 réacteurs ont déjà reçu leur licence pour être exploités jusqu’à 60 ans, dont une trentaine de la même technologie que les réacteurs français. Comme Beaver Valley (Pennsylvanie), la « jumelle » de Fessenheim. L’exploitation jusqu’à 80 ans est également envisagée pour plusieurs centrales.

En Grande Bretagne, les deux réacteurs d’Oldbury[5] (Midlands de l’ouest) mis en service en 1967, ont fonctionné jusqu’en 2012, soit 45 ans. Le réacteur de Wylfa 1 sur l’île d’Anglesey dans le nord du Pays de Galles a produit de l’électricité de janvier 1971 à décembre 2015, soit 44 ans de bons et loyaux services. Calder Hall – dans le comté de Cumbria – mis en service en 1956 a quant à lui produit de l’électricité jusqu’en 2003.

En Inde, la centrale de Tarapur[6] (Maharashtra) fonctionne depuis 1969. Comme le réacteur 1 de la centrale de Beznau[7], en Suisse, de type  réacteur à eau pressurisée qui est désormais à 47 ans, la « plus ancienne centrale du monde ». Et n’en n’est pas moins sûre pour autant.

 

En France, la poursuite de l’exploitation est validée tous les 10 ans

Tous les dix ans, les centrales nucléaires françaises subissent une visite extrêmement complète (la visite décennale) qui doit permettre de valider la poursuite d’exploitation pour 10 années supplémentaires. Toute prolongation au-delà de la prochaine décennale n’est jamais acquise, pas plus à 30 ans qu’à 40 ans.

Lors de ces visites, outre la maintenance classique et le renouvellement d’une partie du combustible, des inspections spécifiques sont faites sur la partie nucléaire des installations.

Le circuit primaire est monté en pression (à 207 bars au lieu de 155 en pression normale). Son intégrité est ensuite vérifiée par l’Autorité de sûreté (ASN). Le test dure une soixantaine d’heures.

Autre test : la mise en pression de l’enceinte de confinement qui est portée à 4 bars, 4 fois la pression atmosphérique. On vérifie l’intégrité du béton du bâtiment. Là encore, l’ASN est sur place pour vérifier l’intervention.

La cuve du réacteur est également inspectée par ultrasons et gammagraphie. Et les résultats de l’inspection sont analysés par l’Autorité de sûreté.

Enfin, la visite décennale est l’occasion d’intégrer de nombreuses améliorations fondées sur le retour d’expérience et l’amélioration des connaissances.

C’est en fonction des résultats que la prolongation de l’exploitation est accordée pour 10 années supplémentaires. Et c’est bien l’Autorité de sûreté qui autorise – ou pas – à poursuivre l’exploitation.

 

Le nucléaire – qui ne représente que 22 % de la consommation d’énergie en France – ne produit quasiment pas de gaz à effet de serre. C’est un atout indispensable pour réussir la transition énergétique et atteindre les objectifs climatiques fixés par la COP21. En tirer parti passe par l’exploitation en toute sûreté des centrales nucléaires au-delà de 40 ans et la construction de nouvelles capacités de production. Pour la population et les entreprises, l’énergie nucléaire – y compris « prolongée » – continuera d’être la solution énergétique la plus compétitive pour les années à venir. C’est le meilleur investissement économique de moyen terme comparé à tous les autres.

 

[1] Le circuit primaire principal (CPP) est l’ensemble du circuit qui produit et transfère la chaleur. Il comprend la cuve du réacteur, les générateurs de vapeur, des pompes et les tuyauteries

[2] Arrêté du 26 février 1974 relatif au circuit primaire principal (CPP) des réacteurs à eau sous pression (REP) http://www.asn.fr/Reglementer/Cadre-legislatif/Arretes/Arrete-du-26-fevrier-1974

[3] Jean-Pierre Hutin a également rédigé un ouvrage très complet La maintenance des centrales nucléaires, Editions Lavoisier

[4] Voir le dossier « Matériaux des réacteurs : l’expertise à l’appui de l’innovation » in RGN1-2015

[5] Oldbury et Wilfa sont des réacteurs à graphite-gaz de type Magnox dont le circuit primaire est contenu dans un caisson en béton précontraint, donc sans cuve.

[6] Tarapur est un réacteur à eau bouillante (REB) de 320 MWe.

[7] Beznau 1 est un réacteur à eau sous pression de 365 MWe

Crédit photo : EDF

Publié par Isabelle Jouette (SFEN)