10. L’histoire mouvementée de l’EPR…

Depuis le projet franco-allemand conçu dans la foulée de l’accident de Tchernobyl pour répondre aux nouvelles exigences de sûreté jusqu’au réacteur qui s’apprête à renouveler le parc nucléaire national, l’EPR a connu une trentaine d’années mouvementées. Aujourd’hui les premiers réacteurs démarrent et les projets se multiplient, mais il a fallu surmonter des obstacles.
Au milieu des années 1980, alors que la construction du parc électronucléaire français n’est pas encore achevée, EDF pense déjà à l’avenir. À l’origine relativement incertaine, la durée de fonctionnement des réacteurs fait l’objet d’un grand projet visant à évaluer, gérer et accroître la longévité du parc1. En parallèle, EDF entame des réflexions sur la conception d’une nouvelle génération de réacteurs destinés à remplacer ceux en fonctionnement à l’horizon 2000-2015. Cette idée va progressivement rencontrer celle de Framatome et de l’Allemand Siemens qui élaborent un projet de réacteur « européen ».
Concevoir le réacteur du futur
En 1986, EDF présente une première esquisse de son réacteur du futur, le REP 2000 (pour « Réacteur à eau pressurisée de l’an 2000 »). Si ses caractéristiques sont encore à préciser, EDF l’imagine « évolutionnaire » et non « révolutionnaire ». Il s’agit d’optimiser et d’améliorer les paliers de réacteurs précédents avec des progrès sur la sûreté, sur la puissance du réacteur, sur les coûts de production ainsi que sur l’utilisation de l’uranium.
Mais après l’accident de Tchernobyl, le marché du nucléaire civil se rétracte. Face à la baisse de la demande, les industriels se regroupent en consortium et créent des partenariats pour optimiser leur chance de remporter des contrats. En 1989 naît NPI (Nuclear Power International), filiale du concepteur des réacteurs français Framatome et de l’Allemand Siemens. L’objectif est de développer un produit commun basé sur les derniers paliers de réacteurs français, dit « N4 » (1 450 MW) et allemand, le « Konvoi » (1 300 MW). Au début des années 1990, les deux projets fusionnent, donnant naissance à l’European pressurized Reactor (EPR), anagramme de REP.
Dans l’après-Tchernobyl, améliorer la sûreté des réacteurs du futur devient indispensable. Les industriels mobilisent alors les experts et les autorités de sûreté des deux pays pour développer de nouveaux objectifs, finalement publiés en 1993. Ils visent la réduction du risque nucléaire par la diminution de la probabilité d’accident de fusion du coeur, la limitation des rejets radioactifs en cas d’accident, ainsi que la diminution des doses reçues par les travailleurs sur le site. En octobre 1997, les partenaires du projet EPR publient le « Basic Design Report » (4 000 pages en neuf volumes rassemblant un million d’heures d’ingénierie). Le projet présente des innovations en matière de sûreté nucléaire avec, par exemple, un plus grand niveau de redondance, de diversification et de séparation physique des systèmes de sauvegarde, le renforcement de l’enceinte de confinement aux agressions externes ainsi que l’ajout d’un récupérateur de corium (le coeur fondu du réacteur). La puissance finalement retenue est de 1 650 MW.
L’EPR en attente d’une fenêtre d’opportunité
Dans les années 1990, la hausse de la disponibilité des réacteurs combinée à une consommation ralentie favorise, en France, une surproduction électrique. Cette situation n’est pas propice à l’essor de nouvelles constructions et les projets de réacteurs à Penly, Flamanville ou encore au Carnet sont abandonnés ou reportés2. Dans le même temps, les arrivées au pouvoir en France (1997) et en Allemagne 1998) de coalitions au sein desquelles sont intégrés des écologistes opposés au nucléaire font connaître à l’EPR sa première crise politique majeure.
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Par Michaël Mangeon, docteur en sciences de gestion, chercheur associé au laboratoire Environnement ville société (EVS) et Mathias Roger, docteur en sociologie des sciences et des techniques, chercheur au Laboratoire d’économie et de management de Nantes-Atlantique.
Schéma © Nuclear Engineering International magazine I Schéma technique de l’EPR en 1997.