1/9 – Métaux stratégiques : mobilisation de la France et de l’Europe - Sfen

1/9 – Métaux stratégiques : mobilisation de la France et de l’Europe

Publié le 13 septembre 2021 - Mis à jour le 9 novembre 2021
isabelle_wallard

Comment les pouvoirs publics français se sont-ils organisés pour assurer la sécurité d’approvisionnement de la France en matières premières stratégiques ?

Isabelle Wallard : L’approvisionnement en matières premières est une prérogative de l’entreprise. Le rôle de l’État est de sensibiliser les industriels aux éventuels risques pesant sur les approvisionnements, et de prioriser et accompagner les thèmes de R&D pour diminuer ces risques. Le Comité des métaux stratégiques (Comes) a été créé en 2011 pour orienter ces actions. Il réunit l’ensemble des acteurs concernés par les métaux stratégiques et partage trimestriellement des analyses de veille sur les marchés des métaux. Il s’appuie sur l’expertise du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et de ses travaux1. Le Comes est aussi un forum d’échanges sur les actualités règlementaires, commerciales et diplomatiques susceptibles d’impacter l’offre ou la demande de ces métaux. Le Comité contribue aussi à l’orientation des axes stratégiques en matière de R&D visant à renforcer et à développer la production nationale de métaux à partir de ressources primaires et secondaires, mais également à réduire voire substituer les métaux critiques utilisés. Le Programme investissements d’avenir (PIA) et le plan France relance ont, parmi leurs objectifs, celui de développer la production industrielle de métaux stratégiques sur le territoire national pour sécuriser les approvisionnements. En parallèle, le ministère de la Transition écologique réalise un travail approfondi de recensement des besoins, dans le cadre du plan de programmation des ressources pour la transition bas carbone (photovoltaïque, stockage et réseaux, mobilité, éolien)2, lancé en 2019. Les crises successives d’approvisionnement montrent la forte vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement totalement mondialisées. La capacité de maîtrise totale des flux ou des prix des métaux stratégiques dont disposent certains pays, comme la Chine, reste une préoccupation majeure dont l’Europe et la France sont pleinement conscientes.

« Le recyclage ne peut plus être considéré comme optionnel : les quantités de matières qui vont être mobilisées pour la transition énergétique mondiale sont immenses (…) Les futurs développements technologiques devront s’appuyer sur tous les stocks disponibles »

Si la gestion des ressources du sous-sol est de la compétence de chaque État membre, l’Union européenne (UE) a lancé en 2007 une initiative sur les matières premières, avec des actions sur la criticité, le financement de la R&D3 et l’innovation4. En septembre 2020, l’UE a annoncé un plan d’action avec la création d’une alliance européenne sur les matières premières, donnant une nouvelle impulsion, avec l’ambition de localiser des activités industrielles en Europe pour les chaînes de valeur stratégiques.

Parmi les pays européens, l’Allemagne est un acteur de référence en termes de veille relative aux matières premières et à la sécurité des approvisionnements, grâce à l’Agence allemande des matières premières (DERA), placée sous la tutelle du ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie (BMWi).

Quelles matières premières sont les plus soumises à une tension pour la France, en particulier dans le champ de la transition énergétique ?

I.W. : Le Comes s’appuie sur les analyses de criticité du BRGM qui produit annuellement une photographie des vulnérabilités, basée sur l’état des connaissances et publie une matrice de criticité. Parmi les substances les plus critiques figurent le lithium, le cobalt, le nickel, les terres rares, certains platinoïdes mais aussi le cuivre ainsi que les métaux composant les alliages de tungstène, de tantale, de titane et de chrome. L’analyse tient compte des pays producteurs pour la mine et pour les étapes de raffinage, ainsi que des dynamiques de marché.

Quelle doit être la stratégie française ?
Peut-on mettre en place des politiques de réserves stratégiques, comme cela a été fait dans les années 1970-1980 pour l’uranium ?

I.W. : Il existe différents modèles de gestion des stocks stratégiques constitués par les États : un modèle que l’on peut qualifier de maîtrise du marché (par exemple en Chine) où les stocks sont utilisés à des fins de régulation des prix, en complément d’autres outils (quotas de production et taxes) ; un modèle de défense (comme aux États-Unis), où des stocks sont constitués en vue d’une mobilisation en cas de crise d’approvisionnement ; ou un modèle avec des contrats off take (contrats d’achat ou approvisionnement) à destination des entreprises nationales (choix des Japonais par exemple).

« En septembre 2020, l’UE a annoncé (…) la création d’une alliance européenne sur les matières premières, (…) avec l’ambition de localiser des activités industrielles en Europe pour les chaînes de valeur stratégiques »

Au sein de l’UE, l’Allemagne proposerait des prêts garantis pour financer des projets miniers à l’étranger impliquant des contrats d’off take des entreprises allemandes. En France, la Caisse française des matières premières a cessé son activité dans les années 1990. L’analyse actuelle est de considérer que l’État n’est pas l’acteur le plus pertinent pour réaliser directement une gestion des stocks, par manque de connaissance fi ne des marchés très spécifiques à chacun des métaux d’une part, et des besoins précis des acteurs industriels d’autre part. Étant donné le contexte, la possibilité d’un rôle de l’État dans l’incitation des entreprises à réaliser ces stocks ne doit pas être écartée.

Dans quelle mesure une politique de recyclage/économie circulaire peut-elle contribuer à la solution ?

I.W. : Le recyclage constitue un pilier essentiel de l’offre, complémentaire de l’offre primaire du fait de la croissance des besoins. Le meilleur exemple est celui du cuivre, où le temps d’immobilisation dans les infrastructures est particulièrement élevé. Alors que l’Europe dispose de volumes de déchets de cuivre à recycler via le renouvellement de ses infrastructures, la Chine ne dispose pas quant à elle de véritable gisement secondaire. Il faut remarquer que le recyclage des produits est exposé à plusieurs contraintes structurelles dont le décalage temporel lié à la durée d’usage du produit (qui pourra en cas de rupture technologique réduire les débouchés et l’économie du recyclage), la complexité de la composition des déchets qui dépasse le plus souvent celle des gisements miniers, et la localisation des chaînes de valeur industrielles capables d’absorber les produits recyclés.

Prenons l’exemple des batteries : l’Europe dispose de capacités industrielles de fabrication de cellules mais de très peu de production de cathodes, précurseurs et métaux raffinés. Il sera donc potentiellement plus difficile de réincorporer les produits issus du recyclage des batteries en Europe. De manière générale, le recyclage des chutes de fabrication off re un flux homogène en qualité et sans décalage temporel, et devrait permettre un recyclage plus facile. Le recyclage ne peut plus être considéré comme optionnel : les quantités de matières qui vont être mobilisées pour la transition énergétique mondiale sont immenses, les quantités d’énergie nécessaires à leur extraction sont également très importantes. Les futurs développements technologiques devront s’appuyer sur tous les stocks disponibles.

Est-il envisageable et intéressant d’être opérateur (minier ou raffineur) sur les terres rares ?
Peut-on imaginer une nouvelle forme de responsabilité environnementale, qui consisterait à ouvrir des mines « propres » sur notre territoire plutôt qu’à délocaliser cette industrie pour l’instant très polluante ?

I.W. : Les opérations minières et métallurgiques sont souvent les étapes des chaînes de valeurs qui ont le plus fort impact environnemental. Réaliser ces étapes en Europe et en France est le meilleur moyen de s’assurer directement des conditions dans lesquelles les minerais sont extraits et les métaux produits. Des pays scandinaves ont adopté une stratégie d’extraction des ressources du sous-sol, et se positionnent en parallèle sur le recyclage car ce dernier requiert des compétences métallurgiques similaires. Le règlement européen « Batteries » en cours de négociation devrait offrir à terme un outil innovant pour imposer des standards environnementaux et sociaux sur les France à l’exception de la mine depuis les années 2000. La filière s’est également dotée des capacités industrielles nécessaires à ses équipements, par exemple dans le cas du zirconium (Framatome) pour l’alliage de la gaine du combustible, ou avec la maîtrise des tubes en titane (Neotiss) pour les générateurs de vapeur.

« La France porte l’ambition de produire des superalliages et du titane pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement à partir des chutes de fabrication, de produire des métaux pour les batteries et des terres rares nécessaires aux aimants permanents »

Il est difficile d’envisager un positionnement de la France sur l’ensemble des métaux industriels ou l’ensemble d’une chaîne de valeur nécessaire à la transition énergétique ; et l’échelle européenne est certainement plus pertinente. Néanmoins, la France dispose de compétences, de savoir-faire, de ressources primaires et secondaires (notamment lithium, tungstène, hélium), d’une recherche et d’industriels dynamiques. Tous ces facteurs sont favorables à l’émergence de projets industriels pérennes sur son territoire. Avec un axe de financement dédié à la production d’intrants industriels dans le cadre du Plan de relance, la production de métaux (terres rares & aimants permanents5, lithium & batteries6, titane7, superalliage, aluminium, cuivre8, etc.) devrait croître dans les prochaines années dans notre pays.

Aussi, forts de plusieurs années d’accompagnement notamment par les PIA au niveau français et Horizon 2020 au niveau européen, les acteurs français ont développé des procédés visant à réduire l’empreinte environnementale de la production des métaux (extraction directe du lithium à partir des saumures9, recyclage des aimants permanents10, etc.).

Dans ce cadre, la France porte l’ambition de produire des superalliages et du titane pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement à partir des chutes de fabrication, de produire des métaux pour les batteries et des terres rares nécessaires aux aimants permanents. Comme dit précédemment, notre pays peut s’appuyer sur les ressources de son sous-sol, sur des ressources secondaires, des compétences industrielles (hydrométallurgie, biolixiviation, chimie du fluor) et sur des acteurs industriels dynamiques implantés sur le territoire.


1.Travaux financés dans le cadre d’une convention entre la Direction générale de l’aménagement du logement et de la nature (DGALN) et le BRGM.
2. Les deux premiers rapports sur le photovoltaïque et le stockage & réseau sont publiés sur http://www.mineralinfo.fr/.
3. Programme H2020.
4. L’EIT Raw Materials finance des projets proches de la maturité industrielle en vue de leur industrialisation, et accompagne des start-up.
5. Carester, MagREEsource.
6. Imérys, Orano, Sarpi, Eramet.
7. Aubert et Duval.
8. WEEE cycling.
9. Adionics, Geolith et Eramet.
10. CEA Liten, Institut Neel du CNRS.

 


Propos recueillis par Cécile Crampon, Sfen – Interview de Isabelle Wallard, ingénieure générale des Mines, secrétaire générale du Comité pour les métaux stratégiques (Comes)

Photo Isabelle Wallard – DR