Les défis de la production d’hydrogène propre en France - Sfen

Les défis de la production d’hydrogène propre en France

Publié le 15 décembre 2022 - Mis à jour le 5 janvier 2023
Avis
hydrogène

Dans une lettre de septembre 20221 adressée à la commissaire européenne de l’énergie, la ministre de l’énergie française déplorait que « les règles actuelles de production d’hydrogène [renouvelable] ne laissent que peu de place à l’électricité « bas carbone » produite en France, en grande partie par le nucléaire ». Quelques jours après la visite de la Première ministre à Berlin le 25 novembre 2022, et la signature d’un accord de solidarité énergétique entre l’Allemagne et la France, la presse2 annonçait un premier pas d’accord entre les deux pays concernant la régulation européenne sur l’hydrogène et en particulier l’hydrogène bas-carbone, que la France entend produire grâce à son électricité décarbonée.
La France et l’Europe ont également placé l’hydrogène au coeur de leur stratégie énergétique, avec deux voies différentes :

• La France s’est fixé3 un objectif de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau de 700,000 t/an (soit une capacité de 6,5 GW) pour 2030. Elle ambitionne que cet hydrogène soit produit sur son sol, par une industrie nationale, en s’appuyant sur sa production d’électricité bas carbone, nucléaire, hydraulique et renouvelable.
• La Commission européenne a annoncé en mai 20224 dans le cadre du plan RepowerEU, revoir l’objectif de production de 5 Mt/an d’hydrogène du paquet Fit for 55 pour atteindre 10 Mt/an de production sur le sol européen et 10 Mt/an d’hydrogène importées5 à l’horizon 2030. La Commission européenne prévoit que la quasi-totalité de cet hydrogène sera produite à partir d’électricité renouvelable.

La Sfen, dans un premier avis6 de 2021, avait rappelé que toutes les solutions bas-carbone sont nécessaires pour faire de l’hydrogène un vecteur important de décarbonation en Europe. Il faut rappeler que l’énergie nucléaire représente aujourd’hui plus de 40% de la production d’électricité bas carbone en Europe. La Sfen avait alerté sur les risques que fait peser sur la souveraineté européenne une focalisation de la Commission sur la production d’hydrogène quasi exclusivement à partir d’énergies renouvelables (avec des importations). Elle pourrait entrainer une nouvelle dépendance à de l’hydrogène renouvelable importé.
Ce nouvel avis permet d’approfondir les enjeux industriels, économiques et réglementaires auxquels est confrontée la France pour la réussite de sa stratégie hydrogène.

• Les enjeux industriels : Il s’agit de garantir à l’horizon 2030 et au-delà, dans le cadre d’une politique volontariste de réindustrialisation, pour les secteurs industriels dont les procédés ne peuvent pas être électrifiés, l’hydrogène propre dont ils auront besoin pour décarboner leur production. Certains secteurs, comme celui de la production d’ammoniac, doivent substituer leur consommation d’hydrogène actuelle produite à partir de méthane par de l’hydrogène propre. D’autres, comme la sidérurgie, doivent entreprendre une transformation de certains de leurs procédés industriels actuels. Au total les besoins pour les seuls industriels, selon France Hydrogène, est (ré)évaluée à 815 ktH2 propre/an7, soit une multiplication par 18 de la production nationale d’hydrogène propre en 8 ans dont la production actuelle est de 45 kt/an. Cette stratégie nécessitera un rapide déploiement de la capacité d’électrolyse nécessaire : une réflexion est en cours sur l’option de mutualiser des électrolyseurs et des infrastructures aval (compression et stockage) au sein de bassins industriels. Elle devra s’appuyer aussi, pour garantir une alimentation en continu des procédés industriels, sur une vraie sécurité d’approvisionnement en électricité bas carbone : RTE estime les besoins de production électrique en 2030 à 30 TWh pour 600 ktH2/an, soit 6% de la consommation totale à cet horizon d’après la trajectoire de référence de la consommation des scénarios 2050 de RTE, un chiffre inférieur aux scénarios hauts de France Hydrogène.

Les enjeux économiques : une condition essentielle de réussite de la stratégie française est la compétitivité de l’hydrogène produit en France par rapport à l’hydrogène fossile et par rapport à l’hydrogène renouvelable importé (depuis l’UE ou hors d’UE). Pour la production nationale, un mode de couplage en base, où l’électrolyseur soutire de l’électricité au réseau électrique bas carbone un grand nombre d’heures, apparaît comme l’option la plus économique. Différentes études étayent cette affirmation. Si en revanche, à hypothèses équivalentes, elles sont relativement cohérentes entre elles, il est difficile de trancher sur un chiffre puisque cela reviendrait à implicitement valider un jeu d’hypothèses (de Capex, d’Opex, de prix de l’électricité, etc.) sur tous les autres. Une récente du CEA (CEA, 2022) évalue LCOH entre 2,5 et 3,5 €/kgH28 suivant la technologie d’électrolyse, pour une fourniture en bandeau à un prix fixe situé respectivement entre 45 et 60 €/MWh dans le cadre de contrats de long terme. Dans un document publié par le Comité de prospective de la CRE (2021)9, plusieurs estimations de coûts de production d’hydrogène par électrolyseurs connectés au réseau sont également fournies. Par exemple, (EDF, 2020), qui y est recensée, l’évalue entre 3,5 et 4€/kgH2, pour un prix de l’électricité rendue site de 50 €/MWh. Quant à la CRE, pour un mode de fonctionnement similaire, elle estime ce coût entre 3,1 et 4,3 €/kgH2, pour une fourchette de prix de l’électricité similaire à celle du CEA (de l’ordre de 45 à 60 €/MWh). Enfin, nous pouvons citer (RTE, 2020)10 qui situe ce coût à 3 €/kgH2 (coût pour la collectivité).
Pour évaluer la compétitivité de différentes options, il est essentiel néanmoins de prendre en compte dans le calcul économique l’ensemble des coûts de la chaîne en aval de l’électrolyseur (LCOHD). À ce jour, des incertitudes fortes demeurent sur les solutions technologiques adaptées au transport longue distance et en particulier maritime (ammoniac, hydrogène liquide, LOHC), sur leurs coûts de développement, ainsi que sur l’horizon de temps où elles pourraient être disponibles. Elles rendent difficile l’appréciation de la compétitivité de la filière d’importation, dont la dispersion des évaluations économiques est plus forte encore que celle de la filière de production domestique.

Les enjeux réglementaires : Les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act (IRA), viennent de mettre en place un mécanisme simple pour favoriser la production d’hydrogène « propre », nucléaire et renouvelable, basé sur un crédit d’impôt. Par contraste, le cadre réglementaire européen apparaît complexe, fragmenté et incertain. Les projets d’hydrogène bas carbone, produit avec du nucléaire, de l’hydraulique et des renouvelables, n’y trouvent pas leur juste place. Par ailleurs, on constate un manque de neutralité technologique et de rigueur dans les méthodes d’évaluation de l’intensité carbone de l’hydrogène avec un biais méthodologique favorisant arbitrairement les nouvelles électricités renouvelables PV et éolien, et un besoin de critères objectifs et homogènes avec les réglementations européennes pour les importations en provenance de pays potentiellement soumis à des conflits d’usage de leur production d’électricité bas-carbone. La France doit militer pour qu’un critère simple et reconnu scientifiquement (de type méthode ACV complète, i.e. standard) de contenu carbone de l’hydrogène soit retenu dans les textes à venir et que sa stratégie d’hydrogène propre trouve sa place.

1 Euractiv France 18 septembre 2022 : LEAK : Agnès Pannier-Runacher demande à la Commission d’introduire l’hydrogène issu du nucléaire dans la stratégie hydrogène de l’UE
2 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/sous-pression-l-allemagne-accepte-que-l-hydrogene-vert-soit-issu-du-nucleaire-942498.html?utm_source=pocket_reader
3 Stratégie nationale pour l’hydrogène décarboné septembre 2020

4 REPowerEU Commission européenne 18 mai 2022 « Un plan visant à réduire rapidement la dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes et à accélérer la transition écologique »
5 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_22_3131
6 Avis de la Sfen mai 2021 Avril 2021 « Comment l’énergie nucléaire peut servir l’ambition française en matière d’hydrogène »
7 Trajectoire pour une grande ambition hydrogène à 2030. Volet 2, France Hydrogène, décembre 2022

L’INFORMATION DE RÉFÉRENCE SUR L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE Découvrir notre revue
L’INFORMATION DE RÉFÉRENCE SUR L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE Découvrir notre revue