Contribution de la Sfen aux travaux de la Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France - Sfen

Contribution de la Sfen aux travaux de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France

Publié le 7 mars 2023
Avis

Une commission d’enquête parlementaire a engagé des travaux fin 2022 afin de s’attacher aux causes de la « perte de souveraineté » causée notamment par les problèmes de production et d’approvisionnement électrique en France, consécutives aux alertes du gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) en 2022 et 2023.

La Sfen a proposé de faire un travail d’analyse complémentaire aux riches auditions, focalisé sur la prise en compte de la parole des experts par les responsables politiques. Cet angle est en résonnance avec une des missions de la Sfen qui est, en tant que société savante, d’éclairer les décideurs dans le cadre des débats de politique énergétique. L’objectif de cette analyse est de déboucher sur des recommandations concrètes pour améliorer la
prise en compte de l’expertise dans la politique énergétique, de manière robuste au-delà des alternances politiques.

La Sfen a fait le choix, pour son travail d’analyse, de se concentrer principalement sur le Débat national sur la transition énergétique (DNTE) de 2012 et le vote de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTECV) de 2015. Elle a réuni un groupe de travail interne, dans le cadre de sa section technique « Économie et stratégie énergétique ». Ce travail s’appuie principalement sur des éléments bibliographiques, complémentaires des
auditions en cours, et se veut transpartisan.

Résumé :
1. La Sfen estime que le débat politique des années 2010 a présenté quatre angles morts. Premièrement, parmi de nombreux objectifs parfois contradictoires, la priorité n’a pas été donnée à la lutte contre le changement climatique. Deuxièmement, la question des besoins croissants en électricité comme vecteur de décarbonation a été noyée dans les ambitions de baisse de la consommation d’énergie, et n’a été que peu anticipée. Troisièmement, les annonces de baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique, sur fond de discours sur les smart grids n’ont finalement été accompagnées de l’attention nécessaire à la question d’équilibre du système électrique. Quatrièmement, les gouvernements successifs n’ont pas donné de perspectives à la filière industrielle nucléaire.

2. La Sfen s’est interrogée sur pourquoi la prise de parole des experts n’avait pu éclairer la préparation de la loi de 2015. Elle estime que la gouvernance du DNTE a été défaillante sur la prise de parole des experts : la (quasi) totalité des experts du nucléaire (dont la Sfen) a été exclue d’office, et le cadrage des scénarios étudiés a été très contraint. Le groupe de travail sur les mix énergétiques a rencontré des difficultés méthodologiques et des désaccords sur la question de la consommation d’énergie. La préparation de la loi de 2015 n’a pas donné lieu à une étude d’impact préalable, laquelle aurait dû faire a minima une évaluation économique de la trajectoire de fermeture des réacteurs, en la comparant à un scénario « contrefactuel » supposant le maintien du parc. Un rapport de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (Ancre) a averti en 2014 que la baisse du nucléaire à 50 % en 2025 n’était pas réalisable sans augmenter les émissions de CO2. Les publications successives de l’Ademe sur le 100 % renouvelables – sujettes à des limites méthodologiques – ont fait l’objet de « récupérations partisanes » tendant à accréditer la faisabilité et l’intérêt de l’arrêt du nucléaire, pour la France et pour l’Europe. La question des coûts de système, très développée déjà dans les milieux académiques, n’a pas été visible. Elle démontre pourtant des coûts croissants de l’électricité dès lors que la part d’EnR dépasse quelques dizaines de pour cent.

3. La Sfen formule des recommandations pour assurer à l’avenir la prise de parole des scientifiques dans la politique énergétique. Elle revient sur la nécessité de qualifier l’expertise, en s’inspirant de la Charte de l’Académie des sciences. Elle rappelle qu’un scénario n’est ni un programme politique, ni une prédiction (plus ou moins autoréalisatrice) de l’avenir, mais un outil pour structurer la réflexion autour des trajectoires envisageables, et pour comprendre les risques associés aux différentes stratégies. La France, par comparaison avec les autres pays de l’OCDE, souffre des manques de moyens consacrés à la recherche en prospective énergétique.
Elle a souffert paradoxalement ces dernières années d’un excès de scénarios, le plus souvent récupérés à des fins partisanes, et sans réelle volonté d’instruire le sujet comme une controverse scientifique. La mission confiée à RTE en ce qui concerne l’électricité est une réussite. Il serait souhaitable de missionner une entité existante pour réaliser un travail d’animation équivalent au niveau de l’énergie dans son ensemble, avec des programmes de recherche académique en soutien.

Photographie © DNTE 2013

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