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Les promesses de la fusion nucléaire

Publié le 3 octobre 2020 - Mis à jour le 14 juin 2023
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La fusion est la source d’énergie qui alimente les étoiles. Dans les conditions de pression et de température extrêmes qui y règnent, les noyaux d’hydrogène entrent en collision et fusionnent pour former des atomes – plus lourds – d’hélium, libérant de grandes quantités d’énergie. Sa maitrise par l’homme fait l’objet de nombreuses recherches prometteuses dans le domaine du nucléaire.

Avec la fission, la fusion est l’autre versant qui permet d’utiliser la force nucléaire pour produire de l’énergie en abondance, sans CO₂. La question est de savoir si l’Homme saura créer et maîtriser cette énergie pour la rendre accessible à tous.

Si les principes physiques derrière la fusion sont bien connus, sa maitrise l’est beaucoup moins. C’est pourquoi dans plus de cinquante pays des institutions, laboratoires, universités, start-up, investisseurs publics et privés travaillent à son développement pour que cette technologie révolutionnaire devienne réalité au cours du XXIe siècle. Parmi ces projets, ITER, qui réunit les plus grands pays, concentre l’attention et porte le plus de promesses.

La fusion nucléaire, un graal énergétique

De fait, pour beaucoup, la fusion nucléaire est un graal énergétique à portée de main. Elle laisse entrevoir une source d’énergie massive, continue, programmable dans le temps, virtuellement inépuisable, dont le combustible est universellement réparti. Les principes physiques qui la régissent sont intrinsèquement sûrs et son impact sur l’environnement limité, la fusion nucléaire n’émettant ni CO2 ni polluants atmosphériques. Enfin, contrairement à la fission nucléaire, la fusion ne produit pas de déchets de haute activité à vie longue.

De toutes les réactions de fusion, c’est la réaction entre le deutérium (D) et le tritium (T), deux isotopes de l’hydrogène (H), qui se révèle la plus accessible en l’état actuel de notre technologie, et qui permet d’obtenir le gain énergétique le plus élevé aux températures les plus basses.

Pour parvenir à fusionner ces atomes, plusieurs solutions techniques sont envisagées, dont le tokamak – une chambre de confinement magnétique en forme d’anneau, la plus répandue, et qui sera utilisé par ITER -, le stellarator, le confinement inertiel par concentration de rayons laser et d’autres encore.

1 000 000
À masse égale, la fusion d’atomes légers libère 1 000 000 de fois plus d’énergie que la plus puissante des réactions chimiques.

Les avantages de la fusion

  • Un principe physique intrinsèquement sûr
  • Un impact limité sur l’environnement, sans production de CO2 ou de polluants atmosphériques
  • Pas de déchets de haute activité à vie longue
  • Pas de risque de prolifération
Approfondir
À Cadarache, l’humanité construit son chemin vers la fusion

Le programme ITER (le chemin, en latin) tire son origine d’une idée fédératrice, capable de rassembler des hommes aux convictions et aux aspirations différentes autour d’un idéal et d’un objectif communs : disposer d’une énergie abondante et propre, et résoudre par là-même de nombreux problèmes auxquels l’humanité est confrontée.

Les aléas politiques, économiques et scientifiques ont pu retarder cette ambition née formellement en 1985 à Genève, de la première rencontre entre le président des États-Unis Ronald Reagan et le dirigeant de l’Union soviétique, Mikhail Gorbatchev. Depuis novembre 2006, 21 ans après, le projet est sur les rails. Commencée en 2010, la construction de la machine et des outils industriels annexes prévoyait un calendrier qu’il a fallu revoir en 2015. Désormais, le planning est réajusté au regard des capacités réelles de construction et des contraintes scientifiques et technologiques. Pour mener à bien ce défi titanesque, à la fois technique, politique, humain et scientifique, plusieurs milliers de personnes œuvrent nuit et jour à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, à quelques centaines de mètres du centre nucléaire historique homonyme. Ainsi, si tout va bien, ce sera au cœur de la garrigue française que se produira, en 2035, l’un des accomplissements humains les plus importants de l’histoire, celui de la maîtrise de la fusion nucléaire. Ce projet unique au monde rassemble l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les États-Unis. La contribution des membres se fait essentiellement « en nature », sous forme de fourniture des pièces et systèmes de l’installation à ITER Organization, l’organisme en charge de la coordination et de l’exploitation ; les transferts financiers ne représentant que 10 % des contributions.

La science derrière le projet

Si la théorie de la fusion nucléaire est bien connue, sa mise en pratique l’est beaucoup moins, malgré des décennies de recherches et par de nombreux États. ITER, avec son tokamak aux dimensions inédites, a pour vocation d’y remédier. Doté d’une chambre toroïdale et de bobines magnétiques, le tokamak s’est imposé, dès la fin des années 1960, comme la plus performante des machines de fusion. Son concept doit tout au physicien soviétique Lev Artsimovitch. Promoteur de la collaboration scientifique entre l’Est et l’Ouest, il considérait que l’énergie de fusion « serait disponible quand l’humanité en aurait besoin ». Dans les années 1990, deux tokamaks, le JET européen (toujours en activité) et le TFTR américain (démantelé en 1997) s’étaient brièvement aventurés dans les territoires inexplorés des plasmas nucléaires. Avec ITER, l’objectif est d’aller beaucoup plus loin. En 1997, JET a généré 16 mégawatts (MW) de puissance de fusion pour une puissance de chauffage totale de 24 MW. Ce ratio (ou « Q ») de 0,67 devrait être porté au-delà de 10 par ITER – au minimum 500 MW de puissance de fusion pour une puissance de chauffage de 50 MW. ITER est aussi attendu pour battre tous les records de durée du plasma en atteignant des périodes de 400 à 600 secondes. Un autre objectif est porté par la démonstration du fonctionnement intégré de technologies d’une centrale de fusion électrogène. Le fonctionnement et les tests sur les installations auxiliaires comme le chauffage, le contrôle, la cryogénie, seront clefs. ITER doit aussi réaliser une fusion de plasma deutérium-tritium auto-entretenue, à partir de 2035. ITER sera la seule installation de fusion au monde capable de produire un plasma en combustion, offrant ainsi aux scientifiques l’opportunité unique d’observer un état de la matière qui n’existe qu’au cœur des étoiles et de faire avancer la science.

Une machine sans équivalent

Ainsi, ITER sera le plus grand tokamak jamais construit, et celui qui mobilisera le plus de technologies, dont beaucoup avant-gardistes. L’ensemble de la machine sera enveloppé dans un cryostat. Cette chambre à vide, la plus grande du monde en acier inoxydable, avec un volume de 16 000 m3, pèsera 3 800 tonnes et permettra d’avoir une atmosphère 1million de fois moins dense que l’atmosphère terrestre. Des défis immenses sont relevés pour concevoir cette machine d’un poids de 23 000 tonnes, trois fois supérieur à la Tour Eiffel, et ses installations auxiliaires de soutien.

Supporter l’environnement extrême du plasma

Les composants amenés à côtoyer le plasma ont été conçus pour supporter une charge thermique de l’ordre de 20 MW/m2. Ils doivent protéger la chambre et les aimants de la chaleur et des flux de neutrons issus de la réaction de fusion. Dans la chambre à vide du tokamak, la plus grande jamais conçue, 440 tuiles en béryllium, chacune individuellement refroidie, seront installées sur des supports particuliers le long des parois. Chaque module mesure 1 x 1,5 mètre et pèse jusqu’à 4,6 tonnes. Il en existe quelque 180 variantes (en fonction de l’emplacement du module au sein de la chambre à vide). C’est dans cette « couverture » que l’énergie cinétique des neutrons se mue en chaleur, dissipée par le circuit de refroidissement. Dans la partie inférieure de la machine, un « divertor » assurera l’extraction des effluents gazeux et des impuretés de la machine ainsi qu’une partie de la chaleur générée par les réactions de fusion. Le divertor est constitué de 54 « cassettes » en acier inoxydable d’un poids de 10 tonnes chacune, et recouvertes d’une surface en tungstène, un matériau hautement réfractaire. Actuellement, le CEA teste au sein du tokamak WEST de l’Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique (IRFM) voisin, dans le centre nucléaire de Cadarache, le comportement des matériaux, en particulier en tungstène, du divertor d’ITER.

Des aimants uniques

Pour permettre de confiner le plasma, de très puissants champs magnétiques, toroïdaux et poloïdaux, devront être produits par des électro-aimants supraconducteurs. Les aimants générateurs des champs toroïdaux sont gigantesques : 16 mètres de haut, 9 mètres de large. 18 seront présents dans la machine. Ce sont les aimants les plus complexes et les plus grands jamais construits par l’humanité. Les six aimants de champ poloïdal, de forme annulaire, sont tout aussi impressionnants, avec des diamètres de 8, 10, 17 et 24 mètres. Ainsi, pour générer ce champ magnétique, qui confinera et modèlera le plasma à l’intérieur de la chambre à vide, 10 000 tonnes d’aimants supraconducteurs seront nécessaires.

Le plus grand circuit de froid au monde

Pour générer les champs magnétiques nécessaires au fonctionnement du tokamak, le refroidissement des supraconducteurs est capital. La température des alliages conditionne en effet la puissance et l’efficacité du confinement magnétique. Les circuits de distribution cryogéniques nécessaires pour leur refroidissement seront longs de 5 km et devront apporter une température proche du zéro absolu, à -269°C (4,5 K). Pour produire ce froid, une usine à froid unique est conçue par l’entreprise française Air Liquide. Ce sera le plus grand système de refroidissement centralisé jamais conçu. A -269°C, l’hélium donne aux aimants du tokamak leurs propriétés supraconductrices pour créer les champs magnétiques. L’hélium à -193°C (80 K) refroidit les boucliers thermiques. L’hélium est recyclé dans une boucle fermée dans l’usine cryogénique.

Un chantier international majeur aux nombreuses retombées locales

Ce chantier du siècle a débuté en 2010. La première et principale étape du travail de construction et d’assemblage des composants se terminera en 2025, date prévue du premier plasma. Fin 2018, près de 3 200 personnes travaillent au quotidien sur le site, dont 2 000 directement sur le chantier. Le premier défi derrière ITER est celui de la fabrication des pièces. Un million d’éléments différents (10 millions de pièces) seront fabriqués dans les usines des membres d’ITER, sur trois continents, avant d’être acheminés vers le chantier. L’intégration et le montage de ces éléments constituent un défi logistique et technique majeur. Un autre défi est lié à l’irréversibilité du processus d’assemblage de toutes les pièces, sachant que les tolérances géométriques impliquées sont de l’ordre du millimètre, y compris pour des pièces de grandes dimensions pesant plusieurs centaines de tonnes. ITER est aussi un chantier hors norme pour les ressources humaines et financières qu’il mobilise. Pour l’économie régionale, les bénéfices sont très nombreux. Ainsi, en dix ans, de 2007 à 2017, le montant des contrats attribués à des entreprises implantées en région PACA a été de 2,3 milliards d’euros, soit 72 % du total des contrats attribués à des entreprises implantées en France (3,18 milliards d’euros)1 . Au total, plus de 500 sociétés, dont 420 françaises, sont présentes en sous-traitance sur le chantier d’ITER. Parmi celles-ci figure notamment Assystem. L’ingénieriste français, fort de son expérience sur des programmes de construction d’installations complexes à l’échelle internationale, est le chef d’orchestre de cet ensemble. Notamment grâce à l’utilisation d’outils numériques de pointe, il a contribué au respect du calendrier ces dernières années. Pour chaque État membre, les retombées sont nombreuses. La participation « en nature » des différents pays, à travers la construction des pièces de la machine, permet au tissu scientifique et industriel de chacun des États de se préparer à aborder l’étape suivante des prototypes de réacteurs conçus pour produire de l’électricité à l’échelle industrielle.

La première pierre d’un édifice qui mettra fin à la dépendance aux énergies fossiles

Le premier plasma d’ITER, programmé pour la fin de l’année 2025, est l’étape initiale d’une très progressive montée en puissance qui culminera, dix ans plus tard, par la production de plasmas nucléaires générateurs nets d’énergie. Dix ans ne seront pas de trop pour finaliser et valider les équipements, ajuster le plus finement possible les paramètres opérationnels, apprendre à piloter la machine et former les personnels qui en assureront le fonctionnement. Avant d’aborder la phase nucléaire (deutérium-tritium) en 2035, ITER devra produire des plasmas d’hydrogène, d’hélium et de deutérium. Pour la première fois, il sera possible d’observer, comprendre et préparer l’exploitation de « plasmas en ignition », ceux du cœur des astres. ITER ne résoudra pas tout. La machine n’est ainsi pas prévue pour produire une réaction de fusion continue. Pour ce faire, il faudrait que le tritium soit non pas injecté, car la production mondiale est insuffisante, mais fabriqué in situ, dans la machine, en récupérant les neutrons émis lors de la réaction de fusion pour les diriger vers des « cibles » contenant des atomes de lithium. La faisabilité de cette technologie « tritigène » doit encore être étudiée en détail et c’est l’une des missions d’ITER. Autre défi, les parois intérieures du tokamak, bombardées de neutrons issus du plasma, deviennent radioactives et se fragilisent, nécessitant un remplacement régulier et téléopéré à l’aide de robots. Les physiciens étudient quels pourraient être les meilleurs matériaux permettant d’éviter une fréquence de renouvellement trop élevée, qui mettrait en question la capacité à produire une énergie continue en raison des interruptions qu’elle entraînerait. Ces deux défis seront au cœur des problèmes que devra résoudre DEMO, le démonstrateur industriel qui devrait succéder à ITER au plus tôt en 2054.

1- « Retombées économiques directes du projet ITER au 31 décembre 2017. Perspectives pour la France et la région PACA. » Comité industriel ITER.

 

 

Copyright : NASA

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