Les enseignements de l’accident nucléaire de Fukushima
Trois accidents nucléaires majeurs ont marqué l’histoire du nucléaire civil (Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima). Ils ont des origines et des conséquences diverses, mais leur point commun est l’enseignement que les exploitants nucléaires en ont tiré pour toujours mieux assurer la sûreté des installations.
L’accident de Fukushima Daiichi s’est produit dans le Nord du Japon en 2011. L’accident a été classé au niveau 7 de l’échelle INES.
Copyright : Fukushima / NPP 1975
A l’instar des deux autres accidents nucléaires majeurs que sont Three Mile Island et Tchernobyl, tous les enseignements nécessaires auront été tirés de l’explosion de la centrale de Fukushima en 2011, pour continuer à renforcer la sûreté des centrales.
L’accident de Fukushima Daiichi s’est produit dans le Nord du Japon le 11 mars 2011. La centrale comptait 6 réacteurs de type REB mis en service entre 1971 et 1979, pour une puissance totale de 4 696 MWe. Un séisme de magnitude 8,9 – dont l’épicentre se situait dans l’océan Pacifique à 145 km de Fukushima – a causé un tsunami. Ces deux évènements naturels ont dévasté 250 km de la côte Nord-Est du Japon sur 5 à 10 km à l’intérieur des terres, faisant entre 20 et 30 000 victimes.
La centrale de Fukushima Daiichi, gravement endommagée, a relâché d’importantes quantités d’effluents radioactifs, nécessitant l’évacuation à long terme de près de 80 000 habitants. L’accident a été classé au niveau 7 de l’échelle INES.
Ce qu’il s’est passé le 11 mars 2011
Le 11 mars 2011, les réacteurs 4, 5 et 6 de Fukushima Daiichi sont en arrêt pour maintenance, leur combustible usé a été évacué dans la piscine de désactivation commune du site. Les réacteurs 1, 2 et 3 fonctionnent normalement.
Le 11 mars 2011 à 14h46 heure locale, un séisme de magnitude 8,9 se produit à 80 km à l’Est de l’île d’Honshu au Japon, à 25 km de profondeur.
Dans les 4 centrales nucléaires situées à moins de 150 km de l’épicentre, les 11 réacteurs en fonctionnement se mettent à l’arrêt automatiquement.
A Fukushima Daiichi, exploitée par TEPCO, l’alimentation électrique est détériorée par le tremblement de terre. Le personnel d’exploitation met en service le refroidissement de secours des réacteurs. Mais un tsunami, résultant de la rupture de la faille en mer, atteint le site moins d’une heure plus tard avec une vague de 14 m. Le site, dimensionné pour résister à une vague de 6,5 m, est submergé.
Les générateurs de secours deviennent inutilisables, sauf celui du réacteur 5. L’autonomie des batteries de secours n’est que de 30 minutes. Très rapidement les salles de commande ne sont plus éclairées et les systèmes de contrôle-commande sont inopérants.
La station de pompage est noyée, causant la perte des moyens de refroidissement. Les réacteurs 1, 2 et 3 en fonctionnement et les 7 piscines de combustibles usés ne sont plus refroidis. En moins d’une heure, le réacteur 1 perd plus de la moitié de son niveau d’eau. Avant 20h, le combustible découvert commence à fondre et atteint en deux heures la température de fusion du cœur, autour de 2 800°C, libérant de l’hydrogène.
Le 12 mars à 6h50, tout le combustible a déjà fondu, s’effondre dans le fond de la cuve et la perce.
Pour éviter une pression trop importante dans l’enceinte de confinement, de la vapeur est relâchée. En milieu d’après-midi, TEPCO annonce une « augmentation extraordinaire de la dose de radiation en limite de site » : un niveau de radioactivité 8 fois supérieur à la norme est mesuré à l’extérieur de la centrale et mille fois supérieur en salle de commande.
Suit alors une longue descente aux enfers pour l’exploitant, ponctuée par des explosions et le classement de l’accident sur l’échelle INES à 5, puis 7, compte tenu des relâchements de matières radioactives.
Trois semaines après le début de l’accident, les réacteurs 1 et 3 sont toujours critiques. Le 2 avril, de l’eau radioactive s’écoule à la mer par une fissure dans le sol du réacteur 2. La fuite est stoppée 4 jours plus tard.
Ce n’est que le 12 avril que l’Autorité de sûreté japonaise relève le niveau de gravité de l’accident à 7. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été évacuées. Un rayon de 20 km autour de la centrale est strictement interdit d’accès.
Le tsunami a causé la mort de près de 20 000 personnes, 100 000 Japonais ont été blessés, les terres dévastées, les routes et voies ferrées coupées. Et l’électricité interrompue.
Des évaluations du risque erronées à la conception et une prise en compte relative du retour d’expérience
Dans cette catastrophe, il faut toutefois souligner la bonne résistance des réacteurs à un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, alors qu’ils avaient été dimensionnés pour une magnitude 7. Mais le fait d’équiper chaque réacteur d’une piscine de stockage du combustible en partie supérieure pour faciliter l’exploitation a gravement compliqué la gestion de l’accident. Un an après, alors que le refroidissement des réacteurs est maîtrisé, la piscine du réacteur 4 représentait encore un risque élevé pendant les 2 ans nécessaires pour l’évacuation de tout son combustible.
Plusieurs éléments, essentiels pour la sûreté, ont été largement minorés, voire sous-évalués.
A la conception, le risque tsunami a été particulièrement peu pris en compte. Alors que 10 tsunamis historiques se sont produits au Japon entre 1605 et 1933, totalisant 95 000 victimes et que le tsunami dans l’Océan Indien causait plus de 200 000 victimes le 26 décembre 2004, les protections de Fukushima Daiichi contre ce risque majeur, se sont avérées totalement inefficaces.
Manifestement, l’agence de sûreté (NISA) qui dépendait du ministère de l’industrie (METI) ne disposait pas d’une indépendance suffisante pour imposer ses exigences à l’opérateur TEPCO.
Suite à l’accident de Three Mile Island, les réacteurs nucléaires français ont tous été équipés de recombineurs d’hydrogène. Cette mise à niveau de la sûreté n’a pas été intégrée dans les centrales japonaises.
Les conséquences de l’accident pour la sûreté
L’Autorité de Sûreté Nucléaire estime à une dizaine d’années, comme pour Tchernobyl, le temps nécessaire pour tirer tout le retour d’expérience de Fukushima.
Cet accident montre qu’il faut – en toute circonstance – assurer l’autonomie en alimentation électrique et en moyen de refroidissement des réacteurs, a fortiori en cas de catastrophe naturelle qui entraverait l’arrivée rapide de moyens de secours. NB : Il a fallu 2 jours pour acheminer du matériel lourd de Tokyo, distante de 250 km, à la centrale de Fukushima Daiichi, du fait des dégâts causés par le tsunami et le séisme aux voies de circulation.
Il montre aussi que l’approche de défense en profondeur n’a pas été appliquée en matière d’agression naturelle, ni au Japon, ni dans d’autres pays. De même pour la combinaison d’agressions (séisme + incendie + inondation) qui n’était pas prise en compte.
Très vite, des évaluations de résistance aux catastrophes naturelles ont été organisées en Europe par l’ENSREG (European Nuclear Safety Regulators). En France, le cahier des charges des évaluations complémentaires de sûreté (ECS), a été prescrit aux exploitants dès le 5 mai 2011. Les exploitants des 79 installations d’EDF (réacteurs nucléaires), d’AREVA (usines de La Hague) et du CEA (réacteurs expérimentaux) ont remis leurs rapports le 15 septembre 2011. Le 4 novembre 2011, l’IRSN remettait son analyse à l’ASN, rendue publique sur internet. Le 3 janvier 2012, l’ASN remettait ses conclusions au Premier ministre, qui les transmit à la Commission européenne.
Les ECS ont fait prendre conscience aux exploitants nucléaires des risques liés à une catastrophe touchant tout un site, avec fusion de tous les cœurs (même si on n’a pas pu mettre en évidence de scénario réaliste y conduisant). Il est désormais indispensable de démonter la robustesse aux agressions (séisme, inondation), aux pertes totales d’alimentation électrique ou de refroidissement, la robustesse des moyens pour gérer un accident grave à l’échelle d’un site, et la situation de crise qui en résulte.
Les ECS ont permis d’identifier un « noyau dur » organisationnel et matériel, avec les équipements indispensables pour faire face à des aléas supérieurs à ceux déjà pris en compte dans les référentiels de sûreté. Et au final, empêcher tout accident de devenir « grave », d’avoir des conséquences au-delà du site qui pourraient entraîner une évacuation, même momentanée, des populations riveraines.
L’accident de Fukushima a entraîné un raidissement très net des pays antinucléaires, comme l’Allemagne et l’Italie qui vont peser fortement sur la politique européenne. Les pays disposant d’un parc nucléaire important ont adopté une attitude prudente et se sont appuyés sur le retour d’expérience pour maintenir leurs programmes (France, USA, Royaume-Uni, Finlande, Corée, Chine, Inde,.).
A retenir
Le parc nucléaire japonais a été mis à l’arrêt suite à l’accident. Plus de 3 ans après, à Fukushima Daiichi, les cœurs sont stabilisés, de l’eau est injectée en permanence, traitée et réutilisée. Les débris sont nettoyés et évacués. Si la conception de la centrale est critiquable, la gestion de la crise et les opérations de nettoyage sont remarquables, compte-tenu des conditions extrêmes dans lesquelles travaillent les opérateurs. Le gouvernement japonais travaille actuellement au redémarrage des centrales arrêtées.