Des réacteurs nucléaires servent-ils à autre chose qu’à produire de l’électricité ?
L’énergie nucléaire est le plus souvent utilisée pour produire de l’électricité. Bas carbone et compétitif, l’atome possède d’autres atouts et prouve son utilité dans de nombreuses applications. De la production de chaleur au dessalement de l’eau de mer, en passant par la conservation des aliments et les explorations dans l’espace, le nucléaire apporte des réponses aux grands défis de notre temps.
En plus de la production de l’électricité bas carbone, l’énergie nucléaire offre des solutions pour décarboner les transports, les industries et les villes.
Chauffer les villes
L’énergie nucléaire peut, en complément de la production d’électricité, être mobilisée pour d’autres applications tirant directement profit de la chaleur générée par la fission dans le cœur du réacteur. Actuellement, un tiers seulement de cette chaleur est récupérée, le reste se dissipe dans le milieu environnant. Cette déperdition touche toutes les centrales électriques y compris celles qui fonctionnent au gaz, au charbon ou au fioul.
Dans le monde, près de 80 réacteurs nucléaires récupèrent cette chaleur ou potentiellement la récupérer, et l’utilisent pour le chauffage. C’est le principe de la « cogénération ». La plupart se trouvent dans les pays nordiques (Finlande, Suède) et en Europe de l’Est (Russie, Ukraine, Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie ou République tchèque) ou dans des pays plus proches comme la Suisse. La Chine compte aussi développer la cogénération.
Dessaler l’eau de mer
30 % de la population mondiale n’a pas accès à une eau potable sûre et 60 % ne dispose pas d’assainissement géré en toute sécurité (OMS/UNICEF – 2017). Dans les régions les plus arides (Afrique du Nord, Moyen Orient), les unités de dessalement de l’eau de mer se multiplient. Si la plupart d’entre elles fonctionnent aujourd’hui aux énergies fossiles, fortement émettrices de gaz à effet de serre, il s’avère que le recours à l’énergie nucléaire permet d’atteindre des coûts de production très compétitifs. Des installations de ce type fonctionnement déjà au Kazakhstan, en Inde et au Japon et de nombreux projets sont à l’étude. Estimant que le déploiement à grande échelle de cette technologie dépend essentiellement de facteurs économiques, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a lancé un vaste programme de recherche et de collaboration sur ce thème.
Les deux procédés principaux de dessalement avec l’énergie nucléaire sont la distillation et l’osmose inverse. La distillation porte l’eau de mer à ébullition, la transforme donc en vapeur pour séparer l’eau pure du sel et des autres composants qui rendent l’eau impropre à la consommation. Par l’osmose inverse, l’eau de mer est amenée à haute pression puis filtrée par des membranes spécifiques. La majeure partie des sels reste piégée dans les membranes qui sont régulièrement régénérées.
L’intérêt de ces techniques de désalinisation grâce à l’énergie nucléaire, contrairement à l’utilisation d’hydrocarbures, est de ne pas produire de gaz à effet de serre.
Conserver les aliments, stériliser et traiter la pollution
Les techniques nucléaires apportent des contributions dans la production agricole et la consommation. Elles sont utiles pour mettre au point de nouvelles variétés de plantes par mutation qui répondent aux besoins des populations et présentent une résistance notamment à la salinité des sols et aux insectes ravageurs.
Des marqueurs isotopiques permettent aussi de suivre l’évolution des nutriments dans les écosystèmes agricoles, d’évaluer leur disponibilité dans le sol, de mesurer l’humidité, etc. Le nucléaire contribue aussi à améliorer le traitement des aliments. L’ionisation d’aliments frais prolonge leur durée de conservation et améliore les possibilités de stockage et de transport. Elle permet aussi de protéger des insectes, détruire les parasites ou différer la maturation du produit.
Autre utilisation particulièrement bénéfique pour les populations : la lutte contre les mouches tsé-tsé, vectrices de la maladie du sommeil en Amérique centrale et au Panama. Les rayons gamma rendent infertiles les jeunes mouches mâles élevées en masse. Avec le temps, la population des mouches est pratiquement éliminée et l’utilisation de pesticides réduite.
L’irradiation par faisceaux d’électrons est également très utile pour éliminer les polluants gazeux, dont les gaz nocifs comme le dioxyde de soufre ou l’oxyde d’azote. Elle peut aussi « nettoyer » les boues des stations d’épuration en les purifiant des micro-organismes pathogènes. Les techniques isotopiques peuvent aussi aider à évaluer la pollution des eaux souterraines et de surface.
La radiostérilisation (utilisant les rayons gamma) est particulièrement adaptée au traitement des articles jetables incorporant des thermoplastiques, comme les seringues, les vaccinostyles, les cathéters etc. On traite ainsi des emballages pharmaceutiques ou alimentaires, des enzymes industrielles, des cosmétiques, etc.
Produire de l’hydrogène
À la fin du XIXe siècle, mélangé à l’oxyde de carbone, l’hydrogène était le combustible indispensable employé pour l’éclairage et comme gaz de ville. Depuis l’avènement de l’industrie du pétrole au XXe siècle, il n’est plus utilisé pour produire de l’énergie. Toutefois, l’épuisement des ressources fossiles, inévitable à terme, et l’absence de gaz à effet de serre relancent la filière hydrogène. Les réacteurs des centrales nucléaires seraient capables d’en fournir massivement.
Pour quelle application ? Dans les transports par exemple. L’hydrogène pourrait servir dans les véhicules électriques équipés de piles à combustible, qui l’utilisent pour produire de l’électricité.
C’est aussi un moyen de stocker l’électricité produite en excès. En cas de surproduction, l’électricité excédentaire servirait à produire de l’hydrogène qui serait stocké et reconverti en électricité en cas de besoin, pour palier notamment l’intermittence des énergies renouvelables. Utilisation particulièrement judicieuse renforçant d’autant la complémentarité entre ces énergies et le nucléaire.
L’hydrogène peut être stocké sous forme liquide (dans le domaine spatial), gazeuse à haute pression dans des réservoirs, ou à basse pression dans certains matériaux carbonés ou dans des alliages métalliques.
Restaurer et protéger les œuvres d’art
Les technologies nucléaires permettent d’examiner, par des moyens efficaces et non invasifs, la structure interne de matériaux aussi variés que le verre, le plastique ou les métaux. L’accélérateur Aglaé (Accélérateur Grand Louvre pour l’analyse élémentaire) installé au musée du Louvre détermine les compositions chimiques et isotopiques des matériaux. Ainsi l’analyse par PIXE (émission de rayons X) des yeux et du nombril de la statue de la déesse Ishtar a révélé qu’ils étaient faits d’un rubis provenant de Birmanie.
Des appareils portables permettent de réaliser des examens in situ d’œuvres non transportables. Ces procédés sont utilisés pour mieux connaître les œuvres et détecter les faux. Grâce aux rayonnements gamma, il est possible de fiabiliser la conservation d’objets anciens par désinfestation et/ou consolidation. C’est la gammagraphie qui a mis en évidence les consolidations de la statue en marbre exposée au musée du Louvre, Aphrodite. Quant à la momie de Ramsès 2, infestée de larves et de champignons, elle a été sauvée par irradiation en 1977.
Explorer les planètes
La NASA travaille au développement de fusées à propulsion nucléaire qui pourraient parcourir de longues distances pour explorer Mars et, plus largement, le système solaire. Grâce aux réactions nucléaires de l’uranium 235, les chercheurs savent chauffer l’hydrogène liquide contenu dans le réacteur et le transformer en hydrogène gazeux ionisé qui, en transitant par le nez de la fusée, génère une poussée.
Les fusées nucléaires thermiques auraient la particularité d’avoir la même force de propulsion que les fusées classiques, tout en étant deux fois moins lourdes. Ce procédé révolutionnaire permettrait d’aller sur Mars en moins de 100 jours contre 253 aujourd’hui. Une mission sur cette planète est prévue d’ici 2033.