“La vie n’est pas qu’un parc d’attraction” – Michel Onfray - Sfen

“La vie n’est pas qu’un parc d’attraction” – Michel Onfray

Publié le 25 avril 2017 - Mis à jour le 28 septembre 2021
  • Société

Philosophe, essayiste, fondateur de l’université populaire de Caen, Michel Onfray est aussi un ardent défenseur des territoires, au premier rang desquels sa Normandie natale. Pour ce libre-penseur, si le nucléaire est le projet de « l’hyper-technophilie du siècle passé » et l’outil de la société de consommation, il reste, à moins d’un changement de société majeur, incontournable. Entretien.

Fondateur en 2002 de l’université populaire de Caen, Michel Onfray préfère la capitale politique de la Normandie où il réside aux mondanités parisiennes. Dans ses ouvrages, marqués par son savoir encyclopédique et sa liberté de parole, il questionne les faits établis et les dogmes. Cette approche critique mais raisonnée, ce philosophe l’a aussi sur l’énergie nucléaire.

Michel Onfray l’explique d’emblée, « je n’ai jamais eu l’esprit moutonnier et n’ai jamais participé aux combats antinucléaires qui se tenaient à l’université de Caen quand j’étais étudiant – entre 1976 et 1984 ». L’énergie nucléaire était alors le reflet de « la puissance d’un siècle qui ne rechignait pas à la puissance car elle en avait les moyens ». Pour lui, cette énergie symbolise le « feu nucléaire qui peut être arrimé à la pulsion de vie (l’énergie civile) ou à la pulsion de mort (l’énergie militaire) ».

Ce nucléaire, symbole « de l’hyper-technophilie » du siècle passé et de ses grands programmes centralisés, aux côtés du TGV et du Concorde, ne s’oppose pas à la décentralisation, mouvement qu’il appelle de ses vœux dans son dernier ouvrage, « Décoloniser les provinces : contribution aux présidentielles ». « La région de Flamanville fait la démonstration que les retombées en matière d’emplois, de taxes professionnelles, d’infrastructure sont considérables ».

Pour ce penseur, le nucléaire, fruit de la société dans laquelle il s’inscrit, est une « réponse aux besoins créés par une société de consommation qui a multiplié les appareils électriques auxquels la plupart sont attachés comme à des doudous ». Dès lors, il juge avec sévérité l’écologie politique de gauche « qui campe sur une position d’opposition bien que la démonstration soit faite que l’énergie renouvelable ne répond pas aux besoins d’une société de consommation ». Il rappelle ainsi que ceux qui critiquent le nucléaire « sont rarement ceux qui optent pour une désaffiliation d’avec ces objets de la servitude volontaire ». Michel Onfray s’étonne d’ailleurs des contradictions de ce mouvement. « La pollution des paysages par les éoliennes et par les milliers de tonnes de ciment des dalles sur lesquelles elles reposent, en même temps que la disparition de ces terres pour un usage agricole au profit du bétonnage échappent bizarrement à la critique écologiste… ». Dans ces conditions, il estime que seuls les décroissants apportent une critique cohérente du nucléaire.


Je ne suis pas de ceux qui sont pour le nucléaire mais le voudraient chez les voisins.


Plus généralement, Michel Onfray considère que le nucléaire a fait les frais des postures politiciennes : « La gauche et la droite invitent chacune à ne pas   penser et à se soumettre à leurs catéchismes et à leurs slogans. La première est contre le nucléaire ; la seconde est pour ; l’une et l’autre le sont presque par atavisme, par héritage. Le nucléaire a été décidé par un gouvernement de droite, c’est donc une mauvaise chose pour la gauche. Mais quand Mitterrand arrive au pouvoir, il n’est pas contre. Que dit alors la gauche ? Qu’elle n’est plus contre… »

A ceux qui pointent le manque de démocratie du nucléaire, Michel Onfray répond : « les valeurs républicaines n’excluent pas une part de discrétion ou de secret et l’idée d’une transparence totale en la matière ne me semble pas une garantie de démocratie mais sûrement un gage de démagogie ». Et de souligner : « Que le nucléaire civil soit en relation avec le nucléaire militaire ne fait aucun doute et que le militaire soit un domaine réservé du chef de l’Etat ne me choque pas. Nos chefs de l’Etat sont démocratiquement élus… »

Michel Onfray souligne également que « le manque de démocratie se manifeste quand le syndicalisme est interdit dans une entreprise ». Et d’ajouter : « les syndicats sont présents à tous les niveaux dans les centrales ».

Sur la question du « risque nucléaire », il précise : « je persiste à croire que Tchernobyl est une catastrophe à mettre au compte de l’impéritie de la bureaucratie soviétique et Fukushima sur celui d’un tsunami contre lequel on ne peut pas grand-chose. » Le philosophe le dit sans ambages : « je ne suis pas de ceux qui sont pour le nucléaire mais le voudraient chez les voisins – idem avec les camps de migrants, les prisons ou les salles de shoot ». Et de conclure, « la centrale est certes un camp menaçant dans le sublime paysage du Cotentin, mais la vie n’est pas faite qu’avec des parcs d’attraction du genre Disneyland. »

 

Bio Express

Docteur en philosophie, enseignant de 1983 à 2002 au lycée technique Saint-Ursule de Caen, Michel Onfray crée en 2002, à la suite du « 21 avril », l’université populaire de Caen, face à ce qu’il perçoit comme une nécessité d’éducation collective. Philosophe, essayiste, il a publié de nombreux livres, dont « Traité d’athéologie », « Contre-histoire de la philosophie » et, plus récemment, « Décadence », éd. Flammarion, et « Décoloniser les provinces : contribution aux présidentielles », éd. L’Observatoire.

 

 


Par Tristan Hurel (SFEN)

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