SMR, AMR : Cinq enseignements de l’ASN face aux nouveaux acteurs du nucléaire - Sfen

SMR, AMR : Cinq enseignements de l’ASN face aux nouveaux acteurs du nucléaire

Publié le 5 mars 2024 - Mis à jour le 6 mars 2024

En quelques années, une quinzaine de start-up innovantes dans le nucléaire sont apparues en France portant des projets de réacteurs divers. Pour elles, l’Autorité de sûreté nucléaire a mis en place des espaces de dialogue dont elle fait état des travaux à date.

Jeudi 29 février, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a présenté l’état d’avancement des projets de petits réacteurs nucléaires innovants. Pour accueillir, ces nouveaux acteurs, étudier ces nouveaux concepts, dialoguer avec eux, évaluer leur culture de sûreté et répondre à leurs timings différents de celui des acteurs historiques, l’ASN s’est doté d’une « Mission Réacteurs Innovants ».

Un outil nécessaire alors que jusqu’à maintenant l’ASN faisait face à un modèle « historique » comprenant un exploitant (EDF) avec une seule technologie (les réacteurs à eau pressurisée) pour un seul usage (la production d’électricité). Dans les années à venir, l’ASN devra travailler avec une multitude d’acteurs et de technologies produisant de la chaleur industrielle, de la chaleur urbaine et/ou de l’électricité hors réseau.

1- De nouveaux niveaux de puissance

Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants, a tout d’abord donné une définition de ce qu’il nomme PRM pour « petits réacteurs modulaires ». Il les situe sur une plage de puissance allant de 10 à 540 MW thermiques (MWth), soit 10 à 400 fois moins que celle d’un EPR. « On parle en puissance thermique, et non électrique, car ces petits réacteurs vont avoir tout un tas d’usages, c’est pour cela que l’on s’intéresse à la puissance du cœur », explique l’expert. Certains sont d’ailleurs uniquement destinés à la production de chaleur [voir infographie].

2- Des possibilités de sûreté accrue

Quelle que soit la technologie de ces futurs réacteurs, l’ASN commence par mettre en avant les possibilités d’une sûreté renforcée du fait de la taille même de réacteurs. Ainsi, Philippe Dupuy explique que « la puissance réduite du réacteur induit : 

  • moins de puissance résiduelle à évacuer après l’arrêt automatique du réacteur ;
  • une cinétique plus lente des accidents de perte des fonctions de refroidissement ;
  • la possibilité de recourir à des systèmes passifs de refroidissement ;
  • une moindre sensibilité aux pertes des alimentations électriques ;
  • moindre sollicitation des barrières de confinement ;
  • inventaire radioactif du cœur plus faible ;
  • réduction des conséquences des accidents. »

Par systèmes passifs, l’ASN précise qu’il s’agit de système de refroidissement qui ne demande aucun apport d’énergie pour fonctionnement, comme la convection naturelle de l’eau dans une piscine, ou l’utilisation de la gravité pour déverser un fluide.

3- Dix concepts de maturités différentes

À l’heure actuelle, l’ASN rapporte que 10 concepts de petits réacteurs modulaires ont franchi le portail de l’ASN et dont les équipes ont été rencontrées. L’Autorité les a classés par niveau de maturité. Les plus avancés (en vert sur l’image ci-dessous) sont Nuward, un réacteur à eau pressurisée, et Calogena un réacteur-piscine (proche des réacteurs de recherche).

Ensuite, viennent tous les réacteurs à neutrons rapides. À une étape intermédiaire (en jaune), on trouve, d’une part, les réacteurs au sodium d’Hexana et Otrera. Ces concepts sont déjà bien connus en France du fait de l’expérience passée avec les réacteurs Rapsodie, Phénix et Superphénix, ainsi que grâce à l’ensemble des connaissances acquises avec le programme Astrid. D’autre part, il y a les réacteurs à haute température (HTR) de Jimmy et Blue Capsule, reposant sur des technologies déjà en cours de développement dans le monde.

Enfin pour les moins matures, on retrouve les filières technologiques choisies par Newcleo (réacteur au plomb) ainsi que celle de Naarea, Thorizon et Stellaria (réacteurs à sels fondus). Pour ces derniers, Philippe Dupuy parle de « concepts très prometteurs où le combustible est lui-même le caloporteur, mais qui sont beaucoup plus loin en termes de maturité technologique ». Cela signifie que si les deux premières catégories (verte et jaune) visent des démonstrateurs industriels d’ici la fin de la décennie, la dernière (orange) vise des réacteurs expérimentaux.

4 – Sans oublier le combustible

Mais le niveau de maturité des réacteurs ne suffit pas. La disponibilité des combustibles et leur certification sont aussi des sujets d’attention. Là aussi les niveaux de maturité sont très différents. Pour les réacteurs à eau légère (Nuward et Calogena), le combustible est disponible et en quantité suffisante, étant donné que les installations actuelles du cycle sont adaptées aux besoins.

Pour les réacteurs au sodium, le savoir-faire industriel existe en France puisque des combustibles ont été fabriqués pour Phénix et Superphénix. Cependant, il n’existe plus aujourd’hui de capacités industrielles pour les produire.

Les réacteurs à haute température emploient un combustible très particulier : les particules Triso. Ici, le cœur d’uranium est englobé dans des couches de carbures de silicium et de graphite. Cela permet une extrême solidité et une très haute résistance aux hautes températures, écartant quasi complètement le risque de fusion. « C’est une barrière de confinement quasi indestructible », assure Philippe Dupuy qui rappelle toutefois qu’il n’existe aujourd’hui des capacités de production qu’à toute petite échelle. Les États-Unis envisagent déjà des capacités de grande taille. Cette technologie demande aussi de l’Uranium hautement enrichi à environ 20 % (Haleu), pour lequel les États-Unis investissent massivement. L’Europe assure vouloir se doter de capacité.

Pour les réacteurs à sels fondus, il n’existe aujourd’hui aucune capacité, même à petite échelle.

5- De multiples niveaux de dialogue

Selon ces différences de maturité, l’ASN est engagé à des niveaux de discussions plus ou moins avancés avec les 10 porteurs de projets identifiés. « Pour faire face aux start-ups, nous avons créé un espace de dialogue préliminaire, dit de suivi prospectif. Ici, on accepte de recevoir les acteurs une première fois pour évaluer la maturité technique », rapporte Yves Dupuy. L’ASN s’est toutefois fixé une limite basse d’une vingtaine d’ingénieurs par entreprise pour les considérer capables d’adresser tous les sujets techniques. Aujourd’hui, Otrera, Hexana, Blue Capsule, Thorizon et Stellaria sont à ce niveau.

Pour les autres projets, ils sont à des stades de « conceptual design » et de « basic design ».Outre les concepts de réacteurs, ce sont aussi les usines et ateliers qui devront être certifié par l’ASN. En particulier, Jimmy et Newcleo ont des projets industriels sur ces points. ■

Par Ludovic Dupin

Photo : Siège de l’Autorité de Sûreté nucléaire (ASN) à Montrouge – ©ANTOINE BOUREAU Hans LucasHans Lucas via AFP

Infographies : @ASN