Les nouveaux enjeux de la sûreté nucléaire - Sfen

Les nouveaux enjeux de la sûreté nucléaire

Publié le 6 avril 2016 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le 16 avril, la SFEN a été entendue par le Groupe d’études sur l’énergie de l’Assemblée nationale, présidé par David Habib, député des Pyrénées-Atlantiques, vice-président de l’Assemblée et Julien Aubert, député du Vaucluse. Le Groupe d’étude organisait une table ronde sur les nouveaux enjeux de la sûreté nucléaire, notamment les modalités et perspectives d’amélioration de l’efficacité des contrôles et mesures de sécurité, pour répondre tant aux attentes de la société civile qu’aux besoins des acteurs économiques de la filière.

La SFEN est donc intervenue, avec les exploitants EDF et AREVA, l’Autorité de sûreté, l’IRSN et l’ANCCLI.

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Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Député-e-s,

Merci de donner à la SFEN – Société Française d’Energie Nucléaire – la possibilité de s’exprimer sur ce sujet important de la sûreté nucléaire et de « comment concilier le niveau de protection indispensable sans entraver l’action des opérateurs économiques de la filière nucléaire ».

Depuis plus de 40 ans, la SFEN anime un réseau de près de 4 000 professionnels et experts de la filière nucléaire civile, issus de centrales, centres de recherche, usines de fabrication ou de retraitement du combustible, centre de gestion des déchets radioactifs, unités d’ingénierie ou encore de centres médicaux.

En préambule de notre propos, il nous semble important de rappeler la définition de la sûreté nucléaire : l’ensemble des dispositions permettant d’assurer le fonctionnement d’une installation nucléaire, de prévenir les accidents et d’en limiter les effets, pour protéger les populations et l’environnement.

Ces dispositions sont prises dès la conception, pendant l’exploitation et jusqu’au démantèlement de l’installation. Elles concernent aussi les équipements destinés au transport de matières radioactives. Et font l’objet de réexamens réguliers, d’améliorations permanentes.

Garantir la sûreté nucléaire est la première mission des exploitants qui ont obligation de mettre en œuvre tous les moyens raisonnablement possibles pour prémunir le pays d’un accident aux conséquences potentiellement dramatiques.

Les trois accidents nucléaires majeurs de Three Miles Island aux Etats-Unis, Tchernobyl en ex-Union Soviétique et Fukushima Daiichi au Japon ont démontré que le risque pouvait parfois être sous-estimé et que les lignes de défense successives indispensables pour garantir la sûreté, pouvaient être faillibles. Les causes de ces accidents ont été étudiées, analysées. Les enseignements en ont été tirés. La responsabilité des exploitants, voire dans le cas de Fukushima Daiichi celle des pouvoirs publics et de l’autorité de sûreté, a été pointée. A juste titre.

Pour prévenir l’accident, il est indispensable d’anticiper

C’est ce qui est fait dès la conception de l’installation : la plupart des scénarios possibles de défaillance matérielle ou humaine ou d’agression externe (inondation, séisme, incendie, chute d’avion…) sont étudiés. Et les dispositifs et équipements nécessaires pour y faire face sont prévus. Ils sont souvent doublés, voire triplés. C’est le principe de la « défense en profondeur ».

Dans un réacteur nucléaire, un des dispositifs conçus pour garantir la sûreté repose sur une série de barrières étanches successives. La première est la gaine du combustible, tube métallique étanche dans lequel sont insérées les pastilles d’uranium. L’enveloppe en acier du circuit primaire, qui comprend une cuve en acier de 25 cm d’épaisseur où est placé le combustible, est la deuxième barrière. Enfin, l’enceinte de confinement en béton, simple ou double, étanche, entoure l’ensemble.

Pendant l’exploitation, le second niveau de la défense en profondeur s’attache à limiter l’occurrence des incidents et à empêcher leur aggravation. Comment ? Par une surveillance rigoureuse (maintenance préventive et contrôles réguliers) et la mise en place de dispositifs permettant de détecter la moindre anomalie dès qu’elle se produit et d’intervenir rapidement en cas d’incident. Toutes ces opérations sont effectuées selon des procédures précisément définies, par des équipes qualifiées et entraînées. 

Les salariés intervenant dans les installations nucléaires suivent des sessions de formation continue. Des exercices sont régulièrement organisés pour leur permettre de renforcer leurs connaissances pratiques et théoriques. Des essais périodiques sont également effectués pour s’assurer du bon fonctionnement des matériels.

Par ailleurs, et c’est le troisième niveau de sûreté, chaque année, une dizaine d’exercices de gestion de crise sont organisés par les exploitants et les pouvoirs publics. L’objectif de ces tests grandeur nature est d’entraîner toutes les personnes amenées à intervenir en situation réelle. Lors de ces exercices, la population, les écoles et les médias sont associés, ce qui permet de constituer une culture de sûreté commune à l’ensemble des parties prenantes.

Il est d’usage de dire que « la sûreté n’a pas de prix ».

Mais il serait déraisonnable d’oublier qu’elle a un coût. Ce coût est assumé par les exploitants d’installations nucléaires qui mettent en œuvre les travaux exigés par les évolutions réglementaires.

Amener les centrales nucléaires existantes à un niveau de sûreté le plus proche possible de celui des réacteurs dits de 3ème génération, demande des adaptations de matériels, la création de nouveaux outils, de nouveaux bâtiments, de moyens complémentaires. C’est ce qui est fait à grande échelle depuis les évaluations complémentaires de sûreté menées par l’Autorité de sûreté nucléaire sur les installations nucléaires en 2011. Car une des leçons de l’accident de Fukushima Daiichi est qu’il faut aussi se préparer à l’imprévu et développer la résilience des systèmes et des organisations.  

Plusieurs améliorations de sûreté ont été décidées en France. Nous citerons ici les plus emblématiques.

Tout d’abord un « noyau dur », robuste et autonome, pour les situations extrêmes. C’est l’ensemble des dispositifs devant assurer les fonctions vitales et la robustesse d’une installation nucléaire en difficulté ou en situation extrême. Il doit être dimensionné pour résister aux risques connus, en considérant qu’ils peuvent se cumuler. Particulièrement robuste et autonome, le noyau dur doit permettre d’assurer le refroidissement, de maîtriser le confinement pour limiter les rejets et de gérer la crise en situation dégradée. Les premiers éléments de ce dispositif ont été mis en place dès 2013.

Ensuite, la force d’action rapide du nucléaire (FARN). Opérationnelle depuis 2014, cette unité unique au monde permet à EDF de mobiliser, en moins de 24 heures et dans n’importe quelle centrale nucléaire, une équipe capable d’apporter des renforts humains et des moyens de secours, et de garantir l’alimentation en eau et en électricité du site accidenté. AREVA a également mis en place une Force d’Intervention Nationale AREVA (FINA) prête à apporter à chaque site un support personnalisé en moins de 48 heures en cas d’événement majeur.

Par ailleurs, outre les évènements externes (séisme, phénomènes climatiques…) ou internes (défaillances matérielles ou humaines), la situation internationale – le Sommet sur la sécurité nucléaire qui s’est tenu la semaine dernière à Washington l’a rappelé – amène à considérer la sécurité des installations, pour se prémunir des conséquences d’actes volontaires, menés avec l’intention de nuire.

Là encore, les règlementations évoluent et le retour d’expérience permet aux exploitants de rehausser encore le niveau de sécurité des installations nucléaires. Le Haut Fonctionnaire à la Défense y veille.

Dans cet environnement contraint, la question de concilier sûreté nucléaire et efficacité économique prend tout son sens.

Pour la SFEN, et au vu de ce qui est pratiqué par l’ensemble des acteurs de la filière, il apparait que sûreté nucléaire et efficacité économique ne sont pas antinomiques, même si les moyens humains et financiers à mettre en œuvre sont importants.

Si l’Autorité de sûreté fixe des objectifs de sûreté, l’exploitant, premier responsable de la sûreté de son installation, doit pouvoir choisir le moyen de les atteindre.

En effet, le nucléaire est une industrie du temps long. L’exploitant a besoin de vision à moyen et long terme et d’anticipation pour se préparer à l’application de nouvelles exigences. Que ce soit pour des installations existantes ou de nouveaux projets.

L’incrémentation de nouvelles organisations ou de nouveaux dispositifs de sûreté demande de nouvelles formations à leur utilisation. Or, la formation aux gestes professionnels et aux métiers spécifiques du nucléaire est longue et complexe. Il est indispensable pour l’exploitant et ses partenaires de pouvoir l’anticiper.

Par ailleurs, l’ambition de « faire mieux » s’avère souvent plus efficace que celle de « faire plus ». C’est ce que les personnels sur le terrain démontrent au quotidien, quel que soit leur domaine d’activité, maintenance ou exploitation, et quel que soit leur statut, salariés des exploitants ou prestataires. Une procédure peut gagner en efficacité, y compris économique, si elle est simple à mettre en œuvre. C’est vrai aussi en matière de sûreté nucléaire.

La filière nucléaire française est la 3ème filière industrielle du pays, derrière l’automobile et l’aéronautique. Elle emploie plus de 220 000 personnes sur tout le territoire et compte près de 2 500 entreprises, toutes concernées par la sûreté et l’efficacité économique. Cette filière doit pouvoir s’organiser dans la durée, comme elle a pu le faire depuis sa création.

De fait, lorsque l’on parle d’efficacité économique, il est également important de penser à toutes les entreprises, souvent des PME ou des ETI, souvent très efficaces à l’export, tant dans le domaine de la maintenance que des services d’ingénierie. Et qui disposent de compétences à forte valeur ajoutée. Elles ont, elles aussi, besoin d’évoluer dans un univers industriel stable dans la durée.

Une sûreté nucléaire robuste, simple et claire à mettre en œuvre est un gage de compétitivité économique. Tant pour les exploitants que pour les autres entreprises de la filière nucléaire.Parce que faire face, y compris à l’imprévu, ne s’improvise pas.

C’est aussi ce qui doit guider les réflexions sur la sûreté nucléaire.

 

Crédit photo : EDF

Publié par Isabelle Jouette (SFEN)

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